32 atteintes des droits de l’homme en Tunisie, commises par le pouvoir entre juillet 1955 et décembre 2013, viennent d’être identifiées par l’Instance vérité et dignité. Ce travail élaboré par une équipe de 60 chercheurs a pour objectif de dévoiler la vérité sur les mécanismes d’une dictature.
« La Bataille de Bizerte déclenchée l’été 1961 par la Tunisie contre la France, qui refusait de quitter sa dernière base militaire en Tunisie alors que le pays avait gagné son indépendance depuis 1956, a entrainé la mort de centaines de Tunisiens. Elle était disproportionnée, du point de vue logistique notamment, l’Etat tunisien ne disposant pas encore d’une vraie armée, ni d’un matériel de guerre adéquat. Les bombardements français contre des cibles humaines tunisiennes se sont révélés anarchiques. Parce qu’il s’agit là d’un cas de violation des Conventions de Genève, nous comptons demander des réparations à la France », déclare Sihem Bensedrine la présidente de l’Instance vérité et dignité dans une rencontre récente avec la presse.
En fait cette « bataille de l’évacuation », que les Tunisiens célèbrent le 15 octobre de chaque année, fait partie des 18 événements que vient de répertorier la commission vérité, sur la base de sources externes à l’instance, à savoir des livres, des articles, des rapports des organisations internationales et des témoignages d’acteurs de l’histoire interviewés par les 60 chercheurs et enquêteurs de l’IVD. Lors de ces crises politiques, dont la guerre de décolonisation, les tentatives de coup d’état de 1962, de 1980 et de 1987, les confrontation des autorités avec les islamistes, avec la gauche, avec les syndicalistes, le soulèvement du bassin minier (2008), la période de la révolution tunisienne, les assassinats politiques de 2013 et les attentas terroristes post 14 janvier, des atteintes graves des droits de l’homme ont été commises par le pouvoir en place contre les citoyens. Introduits dans une base de données, ces évènements seront corrélés aux 32 violations identifiées par les mêmes équipes.
Homicide volontaire, viol, torture, disparitions forcées…
« Le mapping des atteintes aux droits de l’homme, couvrant une période historique fixée par la loi organique relative à la justice transitionnelle, de juillet 1955 au mois de décembre 2013, va nous permettre la mise en relation les faits les uns avec les autres et d’initier une stratégie d’investigations et d’analyses par rapport aux 62 000 dossiers des victimes reçus par notre instance », souligne Slah Eddine Rajhi, directeur des études à l’IVD.
Selon le mapping établi par l’IVD, les violations, qui ont jalonné l’histoire de la Tunisie vont de l’homicide volontaire, à la peine de mort sans garantie d’un procès équitable, aux arrestations arbitraires, à la torture, au viol, aux disparitions forcées, aux violations du droit à la vie privée, aux atteintes à la liberté d’expression, de presse et de publication, au contrôle administratif. Elles se poursuivent avec la violation au droit à la santé, la privation du droit au travail, la violation au droit au logement, la violation du droit d’accès à la justice, la violation du droit à la liberté de rassemblement pacifique, la violation du droit à la liberté vestimentaire, la violation des libertés académiques, la violation du droit à la culture, la violation du droit à la propriété, la violation du droit à la pratique religieuse. La marginalisation méthodique de régions spécifiques fait également partie de ce mapping, ainsi que, la non reconnaissance du statut de « combattant contre la colonisation », la fraude électorale, la corruption financière et le détournement des deniers publics et la contrainte à la migration forcée pour des raisons politiques.
Selon les premiers chiffres, 32 228 victimes islamistes sont concernées par plusieurs violations. Il s’agit du plus gros contingent de victimes. Viennent après les syndicalistes (5 676) et les militants de gauche (3 308). Les activistes des droits de l’homme, 180, ont subi des centaines de violations de tous types.
« La deuxième phase de notre travail consiste à écouter les victimes dont nous avons reçu les dossiers, pour que nous puissions déterminer le back ground de la violation, ses circonstances, son contexte et ses répercussions. En recoupant les données entre nos sources externes et nos sources internes, nous pourrions cerner et dévoiler la vérité sur les différentes atteintes aux droits de l’homme, qui ont émaillé notre histoire. Ce travail sera présenté par la suite sous la forme d’un rapport », ajoute Slah Eddine Rajhi.
La commission vérité a par ailleurs reçu des dossiers plutôt inclassables dans le mapping, ceux de la communauté juive et de la communauté noire de Tunisie. La matière, abondante, qu’elle continue à recueillir sera livrée, à la fin de son mandat, dans deux ans et demi, aux historiens, pour qu’ils écrivent enfin une histoire des colères populaires, des soulèvements et des dissidences qui a toujours été tue en Tunisie.