CPI : un ex Vice-Président de la RDC condamné pour avoir acheté 14 témoins

CPI : un  ex Vice-Président de la RDC condamné pour avoir acheté 14 témoins©ICC/CPI
Comparution initiale de Jean-Pierre Bemba devant la CPI en 2013
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La Cour pénale internationale (CPI) a rendu, le 19 octobre, son premier jugement pour atteinte à l’administration de la justice. Les cinq accusés, dont Jean-Pierre Bemba, ont été reconnu coupable. La sentence ne sera pas prononcée avant plusieurs semaines.

 La mine sombre, mal rasé, le visage dans la paume de sa main, Jean-Pierre Bemba semble accablé. L’ex vice-président de la République démocratique du Congo (RDC) n’était pas apparu à la Cour depuis juillet dernier et sa condamnation à 18 ans de prison pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis en Centrafrique en 2002 et 2003. En novembre 2013, après l’audition du dernier témoin du procès pour crimes contre l’humanité, quatre des cinq accusés – Bemba était déjà incarcéré – étaient arrêtés à Paris, Bruxelles, Kinshasa et La Haye, pour atteinte à l’administration de la justice. Au cours de ce premier procès, le « chairman », comme l’appelle ses partisans, a suborné quatorze de ses témoins, ont affirmé les juges le 19 octobre, dès l’ouverture de l’audience. Avec son avocat d’alors, Aimé Kilolo, l’un de membres de sa défense, Jean-Jacques Mangenda, il « élabore un plan commun » : convaincre des témoins de déposer en sa faveur, quitte à mentir. En échange, ils reçoivent des sommes de 600 à 800 euros, du matériel informatique ou pour certains, la promesse d’un passeport pour l’Europe.

Faire la couleur »

Pendant des mois, les trois hommes tentent de dissimuler leurs activités illicites. Les fonds sont transférés à l’aide d’intermédiaires. Le quatrième accusé, le député congolais Fidèle Babala, proche de l’accusé, est reconnu coupable d’avoir transféré des fonds à la femme d’un témoin, et à la fille d’un autre. « C’est bien de sucrer les gens » dira-t-il à Jean-Pierre Bemba au téléphone. Dans leurs conversations, ils utilisent un langage codé, dont les juges livrent quelques passages à l’audience. « Faire la couleur », signifiait préparer le témoin. Après l’audition de l’un d’entre eux, maître Kilolo assène au téléphone : « maintenant, tu vois le problème. J’ai toujours dit au client de refaire la couleur, parce que les gens oublient ». Avant leur audition, les témoins sont préparés, répètent leur intervention, pas toujours au point. Alors que les parties ont interdictions de parler aux témoins lorsqu’ils ont débuté leur déposition, qui s’étalent parfois sur plusieurs jours, Aimé Kilolo a pris le soin de leur fournir des téléphones portables, pour communiquer avec eux, « tard le soir, tôt le matin », dit le juge-président. Quatre de ces témoins sont recrutés par Narcisse Arido, l’un des cinq accusés. Ils doivent prétendre être des officiers. Narcisse Arido leur « fournit des insignes militaires ».

 

La tentative du procureur

Pour conclure la lecture du résumé du jugement, les cinq hommes sont invités à se lever, un à un. « Coupable d’avoir suborné des témoins », dit le président à l’adresse de M. Bemba, égrenant un à un le pseudonyme de ces derniers. D2, D3, D4... L’ex vice-président lève des yeux étonnés à chacun d’entre eux, mais semble accablé. C’est sourcils froncés que maître Aimé Kilolo entend à son tour le verdict, suivi des trois autres coupables. Les cinq hommes risques jusqu’à cinq ans de prison et une amende proportionnelle à leurs avoirs. La sentence doit faire désormais l’objet de nouveaux débats et d’une décision séparée. Elle n’est pas attendue avant plusieurs semaines. Mais sur le banc du procureur, le substitut Kweku Vanderpuye tente de transformer sa victoire et demande aux juges que « les accusés soient placés en détention ». Aucune circonstance « ne justifierait qu’ils restent en liberté », affirme-t-il. Un à un, les cinq avocats objectent. Quatre des coupables bénéficient d’une liberté provisoire et ont déjà passé 11 mois en préventive, au début de l’affaire. Aucun n’a l’intention de fuir, disent-ils en substance, « le procès pénal n’est pas un jeu de cache-cache », lance l’un des défenseurs d’Aimé Kilolo, « quel est le risque ? Il [le procureur] doit apporter des preuves ». Ils sont coupables d’un délit pas d’un crime, dit l’un, ils sont toujours présumés innocent, jusqu’à l’appel, plaide un autre. Ils ont déjà purgé leur peine, suggère un troisième.

Le message des juges

Après quelques minutes de délibéré, les juges déboutent le procureur. Les quatre hommes resteront libres. Seul Jean-Pierre Bemba retournera à la prison de Scheveningen pour continuer de purger sa peine de 18 ans de prison pour les crimes contre l’humanité commis en Centrafrique. Au cours de l’audience, les trois juges ont affirmé qu’il s’agissait de crimes de « la plus haute importance », qui « peuvent empêcher la Cour de remplir son mandat ». Puis comme pour rassurer les avocats plaidant à la Cour, secoués par les poursuites intentées contre l’un des leur, ils précisent qu’ « il ne s’agit nullement d’une affaire sur la défense », qu’ils ne condamnent pas « des stratégies légitimes de défense », mais « une conduite criminelle » qui « nuit à l’administration de la justice ». Le message est plus large. Empêcher la corruption ou les pressions sur les témoins appelés à la barre.