Alors que le monde entrevoyait la fin d’un conflit vieux de plus d’un demi-siècle dans le pays, les Colombiens ont rejeté le 2 octobre l’accord de paix signé le 26 septembre par le président Juan Manual Santos et le dirigeant du mouvement marxiste des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) Timoleon Jimenez. Pour la juriste colombienne Maria Teresa Garrido, qui vit actuellement en Suisse, le fait que le non ne l’a emporté que par une infime marge (50.2% contre et 49.8% pour) et la détermination des signataires de l’accord permettent de nourrir encore des espoirs de paix. L’accord de paix prévoit des mécanismes de justice transitionnelle, dont une Cour Spéciale pour juger les auteurs présumés des crimes les plus graves ainsi que des peines réduites pour ceux qui acceptent leurs responsabilités.
JusticeInfo : Pourquoi, à votre avis, le peuple colombien a-t-il rejeté l’accord de paix ?
Maria Teresa Garrido : Je pense qu’il y a plusieurs facteurs et qu’il faut comprendre que le référendum portait sur l’intégralité des textes. Il avait été décidé à La Havane par les parties négociatrices que le mécanisme de validation auprès du peuple colombien allait être le référendum et que la question qui allait être posée était « Acceptez-vous les accords de paix, ou non ? » Et donc, c’est l’accord en bloc qui a été soumis au peuple.
Je ne pense pas que le « non » soit un bloc homogène de personnes. Il est possible qu’il y ait eu certaines personnes qui ont rejeté l’idée même de négocier avec les FARC. Une des raisons pour ce groupe de personnes, je pense, est que, dans l’imaginaire collectif colombien, on parle de terrorisme depuis trente ans, pas de groupes armés, mais de terroristes qui avaient des liens avec le trafic de drogues. Donc, c’est l’ignorance du fait que la négociation est possible avec un groupe armé et que les guerres se terminent, soit par la victoire militaire, soit par la négociation. Il y en a d’autres qui comprennent que c’est tout à fait légal de négocier avec un groupe armé, et il est probable que ces personnes disent « oui, on veut la paix, mais pas à ce prix ». Le prix dont il est question pour ces personnes-là est qu’il n’y a pas, dans le texte signé, de peine de prison ferme.
JI : Il y a actuellement des discussions, notamment entre le gouvernement et l’opposition, pour essayer de relancer le processus de paix. Est-ce que vous pensez qu’il y a des points sur lesquels l’accord peut être renégocié ?
MTG : Oui, je le pense. Le plus important, c’est que les parties négociatrices, c’est-à-dire les FARC et le gouvernement, ont manifesté clairement et à plusieurs reprises leur volonté de revoir les points mis en cause par ces personnes qui ont voté « non ». Cela ne veut pas dire que tout va être renégocié, mais que ces points seront rediscutés. Donc la volonté des parties est claire. Le cessez-le-feu, qui a été prolongé jusqu’au 31 décembre, nous donne du temps pour cette nouvelle tranche de négociations. Il y a une chose qui est claire, c’est que la discussion ne va pas continuer indéfiniment. Il y a un délai. Ceux qui voulaient présenter des points avaient un temps pour le faire, et ils l’ont fait. Je trouve que c’est plus qu’honnête. C’est positif dans le sens où des personnes qui ont des doutes, qui se sentent exclues, ont la possibilité de poser sur la table leurs souhaits pour élargir la légitimité de l’accord final.
JI : Pensez- vous que l’accord, tel qu’il se présente actuellement, soit bon pour les victimes ?
MTG : Oui, parce qu’il y a, dans cet accord, une spécificité sans précédent dans l'histoire de la justice transitionnelle, celle d'avoir mis les victimes au centre du processus de négociations. Des représentants des diverses catégories de victimes sont allés à Cuba: victimes des forces armées, victimes de la guérilla et même victimes des groupes paramilitaires. Elles ont fait face à leurs bourreaux et leur ont dit leur douleur. Les bourreaux, quant à eux, ont pu demander et obtenir pardon. Je ne conçois de personnes mieux placées que les victimes pour donner un feu vert à cet accord.
D’un autre côté, ce qui a été décidé en termes de justice transitionnelle, c’est un accès à une procédure spéciale, moyennant une contribution à la manifestation de la vérité. Et pas une vérité truquée ou incomplète. Le système est conçu de manière qu’il y ait un « cross-check » permanent. Pour les victimes, la vérité est essentielle. Les victimes se sont ainsi déclarées prêtes à exiger moins de justice punitive, moins de privation de liberté, en échange de plus de vérité, de réparations et de garanties de non-répétition.
L’attribution du prix Nobel de la Paix au président Santos, quelques jours après le rejet de l’accord, peut-elle avoir un impact sur le processus de paix ?
MTG : Je le pense, parce qu’il y a une dimension internationale à ce processus, dont les partisans du « non » ne se rendent pas compte. Et l’accompagnement de la communauté internationale dans ce processus a été crucial. Le rôle joué par la Norvège, le Chili, l’Equateur, le Venezuela et Cuba, bien entendu, a été essentiel. Mais aussi la dimension internationale juridique. L’accord, dans ses aspects relatifs à la justice transitionnelle, est conforme à toutes les Conventions auxquelles la Colombie est partie. Ce Prix Nobel vient dire que ce ne sont pas des fous qui se sont rencontrés à La Havane mais que cela a été fait dans les règles de l’art. Ce sont des accords qui respectent la Constitution et les obligations internationales de la Colombie. Et la communauté internationale aussi est garante et vigilante. Ce Prix Nobel de la Paix est un signe de la communauté internationale qui dit : « Vous avez travaillé sérieusement et professionnellement. »