L’opération militaire française Sangaris, dont la fin vient d’être déclarée officiellement, était le dernier rempart contre les groupes armés en vertigineuse montée de puissance depuis l’entrée en fonction du président Faustin – Archange Touadéra. Le retrait des troupes françaises devrait donc, selon Human Rights Watch, interpeller la force de l’ONU, désormais en première ligne face à la violence des groupes armés.
Le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a officialisé le 31 octobre, à Bangui, la fin de l’opération militaire Sangaris lancée en décembre 2013 pour stopper les affrontements meurtriers entre rebelles de la Séléka et miliciens Anti-balaka après le renversement du président François Bozizé en mars de la même année. Même si quelques-uns d’entre eux sont accusés d’avoir abusé sexuellement de jeunes centrafricains et centrafricaines, les soldats français constituaient la seule force de dissuasion face aux groupes armés qui font actuellement régner la terreur dans le pays. Les Forces armées centrafricaines (FACA) étant encore inopérantes, c’est donc désormais aux seuls Casques bleus de l’ONU qu’incombe la responsabilité de protéger les Centrafricains. C’est plus qu’un sursaut qui est requis des soldats des Nations unies. Bien que forte de plus de 12.000 hommes, la force onusienne a la réputation de ne se pointer souvent que lorsque le mal est déjà fait. Accusées d’avoir réduit leur mission à faire de la comptabilité macabre après les dégâts, les troupes onusiennes doivent désormais s’élever à la hauteur de leur mandat.
User de la force pour protéger les civils
C’est l’appel qui leur a été lancé le mardi 1er novembre par l’organisation Human Rights Watch (HRW) qui leur demande notamment de renforcer la protection des civils dans la ville centrale de Kaga Bandoro où une attaque attribuée à des miliciens ex-Séléka a fait 37 morts à la mi-octobre et dispersé des milliers de personnes déplacées. « Les Nations unies devraient de toute urgence déployer plus d’effectifs dans la région centrale instable, renforcer leurs patrouilles et, en vertu du mandat de la mission, garantir un usage approprié de la force pour protéger les civils face à une menace imminente », estime Human Rights Watch. L’organisation rappelle que la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA) comprend 12. 870 membres, dont 70 agents de police et 200 militaires qui étaient présents à Kaga-Bandoro au moment de l’attaque. Or, poursuit HRW, des témoins ont raconté que les Casques bleus n’avaient pas empêché une soixantaine de membres armés de la Séléka de traverser un pont surveillé par l’ONU et d’attaquer les civils, même si certains soldats de la force internationale ont ultérieurement ouvert le feu et tué 12 membres de la Séléka en périphérie du camp. « Des attaques meurtrières comme celles-ci montrent pourquoi les Casques bleus de l’ONU ont reçu le mandat de protéger les civils par tous les moyens nécessaires – et pourquoi ils doivent l’exécuter», poursuit HRW.
L’organisation exhorte par ailleurs le gouvernement centrafricain, les Nations unies et les bailleurs de fonds à soutenir davantage « la Cour pénale spéciale » créée au sein du système judiciaire centrafricain pour enquêter sur les violations des droits de l'homme commises dans le pays depuis le début du conflit en 2013. « Des membres de la Séléka circulent ouvertement en ville avec leurs armes, envoyant le message qu’ils se sentent intouchables par la loi, un message qui n’a pas échappé aux civils », explique Lewis Mudge, chercheur sur l’Afrique à Human Rights Watch. « Des arrestations et des poursuites judiciaires sont nécessaires de toute urgence pour stopper le cycle meurtrier des violences dans le pays», demande l’activiste.
Pour une armée républicaine
Dans les conclusions de son rapport consacré aux événements de Kaga Bandoro, la MINUSCA affirme que ces abus « démontrent à suffisance la fragilité et l'imprévisibilité de la situation sécuritaire » dans la région. « Les armes légères sont largement disponibles et des caches d'armes considérables demeurent dans certaines zones. Les groupes armés, en particulier les ex-Séléka et les Anti-Balaka, sont réticents à rendre leurs armes », poursuit la mission de l’ONU, tout en soulignant l’urgence « de désarmer tous les groupes armés ».
Le même amer constat avait été dressé la semaine dernière par le président Touadéra lors d’une rencontre à Bangui avec les forces vives de son pays. « Les groupes armés règnent par la terreur dans les territoires sous leur contrôle », a –t -il confessé. Répondant à ceux qui l’accusent d’impuissance ou de complaisance face aux groupes armés, le nouveau chef de l’Etat centrafricain a indiqué qu’il avait choisi d’y « aller avec méthode, avec tact ». « Depuis mon investiture, a-t-il expliqué, je me suis employé à créer les conditions requises pour que nos frères qui ont pris des armes s’engagent de manière directe et consciente dans la voie du DDRR ( Désarmement, Démobilisation, Réinsertion et Rapatriement), du dialogue et de la réconciliation nationale ». Dans son allocution, Touadéra a par ailleurs répondu, à ceux qui parmi ses concitoyens, réclament leur armée nationale. « Oui, mais il doit s’agir d’une armée républicaine, pluriethnique, professionnelle et apolitique. Une armée qui doit protéger et défendre l’intégrité du territoire, et non une armée qui doit combattre d’autres Centrafricains ».
En attendant la création d’une armée digne de ce nom, la force des Nations unies est plus que jamais appelée à s’acquitter de sa mission de protéger les civils.