La procureure de la Cour pénale internationale (CPI) s’est rendue devant le Conseil de sécurité des Nations unies le 9 novembre pour présenter son douzième rapport d’étape sur ses enquêtes en Libye. Fatou Bensouda compte faire de la Libye une priorité de l’année 2017, a évoqué de nouveaux mandats d’arrêt contre des anciens du régime Kadhafi et l’ouverture éventuelle d’une enquête sur les crimes de groupes djihadistes.
Au rapport devant le Conseil de sécurité des Nations unies le 9 novembre, la procureure de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé qu’elle demanderait « de nouveaux mandats d’arrêt le plus tôt possible », et déjà requis la coopération des Etats et du Conseil - qui l’avait saisi au tout début de la révolution libyenne - pour l’arrestation des futurs suspects. Dès juin 2011, la Cour avait émis trois mandats d’arrêt contre Mouammar Kadhafi, son fils, Saïf Al Islam et le chef des renseignements militaires, Abdullah El Senoussi. Le rapport de la procureure laisse entendre qu’un ou plusieurs autres mandats - secrets - ont été délivrés récemment par les juges. Ces mandats viseraient d’anciens membres du régime Kadhafi et sont le résultat d’un accord de coopération passé entre les autorités libyennes et la procureure, en novembre 2013, selon lequel la Cour se chargerait de Kadhafistes en exil.
Dans ce cadre-là, le procureur général de Libye a déjà fourni de nombreux documents à La Haye. Des trois premiers mandats d’arrêt, un seul est encore actif est n’a toujours pas été exécuté. Saïf Al Islam est, depuis 2011, entre les mains d’une brigade de Zintan, au nord-ouest de la Libye, et fait l’objet de marchandage entre la milice et les différentes autorités libyennes en place depuis la chute du régime Kadhafi. La procureure affirme que le suspect est hors de contrôle du gouvernement libyen. En avril dernier, elle demandait aux juges de l’autoriser à délivrer le mandat directement au chef de la brigade de Zintan, Alajmi Ahmed Al-Atiri. La décision est toujours pendante.
L’anarchie et l’impunité
« La violence généralisée, l’anarchie et l’impunité qui prévaut actuellement dans de nombreuses régions du pays » ont conduit la procureure à faire de la Libye l’une de ses priorités pour 2017, a-t-elle expliqué à New York. Outre les membres de l’ancien régime, elle pourrait aussi orienter ses enquêtes sur les crimes présumés commis lors du conflit en cours, et plus particulièrement sur ceux de l’Etat islamique et d’Ansar Al-Sharia. Si les exécutions perpétrés par les groupes djihadistes ont récemment diminuées, la procureure souligne que de nombreux charniers ont été découverts. Depuis six mois, la bataille de Syrte – opposant les djihadistes aux forces libyennes alliées à des groupes armés et soutenus par des forces internationales, notamment américaines et britanniques - est toujours en cours. Plusieurs charniers ont été découverts dans des quartiers de la ville repris aux djihadistes.
Appel à la coopération
La procureure a salué de manière appuyée la coopération de l’Egypte, « en relation avec la situation en Libye et les défis auxquels fait face l’Afrique du Nord, tels que la sécurité et les menaces posées par le terrorisme et les groupes extrémistes comme le soit disant Etat islamique en Irak et au levant ». A New York, le représentant égyptien a en retour exprimé son plein soutien à la procureure, et appelé les Etats de la région et les organisations internationales à coopérer. C’est ce que font déjà la Tunisie et la Jordanie, les deux seuls pays arabes membres de la Cour, comme l’a aussi souligné la procureure. Cette coopération passe par les justices nationales. Fatou Bensouda indique avoir développé « une stratégie coordonnée avec des partenaires en matière d’enquête et de poursuites ». La magistrate gambienne précise que la situation sécuritaire ne lui permet pas de déployer ses enquêteurs sur le terrain. Elle a demandé au Conseil de sécurité d’étendre au personnel de la CPI les dispositions sécuritaires prévues pour le personnel des Nations unies. Faute de pouvoir enquêter sur le terrain, la procureure tente d’étendre la coopération avec des services de polices nationaux enquêtant sur des affaires liées à la Libye. Dans un article paru la semaine dernière, Mediapart révélait que les juges français enquêtant sur les présomptions de financement illégal de la campagne de Nicolas Sarkozy par le régime Kadhafi, avaient obtenu de la Cour un interrogatoire d’Abdullah El Senoussi, actuellement emprisonné à Tripoli.
Les crimes contre les migrants
Cette coopération avec les justices nationales porte aussi sur le trafic de migrants. Le bureau du procureur devrait, au cours de l’année 2017, « étudier la possibilité d’ouvrir une enquête » sur les crimes commis contre les réfugiés et les migrants en Libye, notamment les violences sexuelles et celles perpétrées contre les enfants. Pour l’ambassadeur de l’Angola à l’Onu, l’absence de justice pour les migrants souligne « l’importance de la CPI en Libye ». Reste encore le nerf de la guerre. Fatou Bensouda a demandé au Conseil, qui l’a saisi, de mettre la main à la poche, estimant que sans ce soutien, les fonds consacré à la Libye le seront « au détriment des enquêtes sur d’autres crimes » commis dans d’autres pays. Depuis 2011, la Cour a consacré plus de 20 millions d’euros à l’affaire libyenne, selon un bilan récent. A New York, le représentant russe s’y est fermement opposé, renvoyant la balle aux deux promoteurs de la saisine de la Cour, la France et le Royaume uni. Moscou, qui estime avoir été trompé par ses pairs sur les motivations réelles de l’intervention militaire en Libye, a d’ailleurs regretté qu’aucun mandat d’arrêt visant les insurgés de 2011 n’ait été délivré par la Cour depuis 5 ans, et souligné que rien n’était fait pour la mort de civils sous les frappes de l’Otan.