La procureure de la Cour pénale internationale (CPI) a rendu public son rapport annuel sur les examens préliminaires. Pour l’instant, Fatou Bensouda n’annonce ni ouverture d’enquête, ni clôture de dossier, mais devrait se prononcer sur les examens en cours concernant l’Afghanistan et la Flotille pour Gaza dans « un proche avenir ». Le rapport publié à la veille de la réunion des Etats-parties décrit aussi les avancées dans les huit autres dossiers examinés : Gabon, Burundi, Palestine, Ukraine, Irak, Guinée, Nigeria et Colombie.
La grande avancée des examens préliminaires concerne l’Afghanistan. La procureure devrait indiquer, dans « un proche avenir », si elle ouvre ou non une enquête dans cette affaire. Mais la longue liste des crimes contre l’humanité et crimes de guerre répertoriés présagent d’une issue favorable. Plusieurs sources à La Haye indiquent qu’elle devrait déposer sa demande sur le bureau des juges d’ici la fin de l’année. Si les juges autorisent la procureure à ouvrir une enquête, une décision qui pourrait prendre plusieurs mois, elle devrait s’orienter au premier chef sur les crimes commis par les Talibans. Depuis 2007, relève la procureure, 17 000 civils ont trouvé la mort, suite aux attaques des Talibans et de leurs affidés. Des personnes ciblées pour leur soutien au gouvernement, ou pour être « hostiles au régime taliban et à leur idéologie », dont des femmes et des filles scolarisées. Du côté des autorités afghanes, la procureure s’intéresse aux tortures commises par la police et les services de renseignements dans les prisons afghanes depuis 1978, souligne-t-elle, mais toujours restés impunis. Elle indique néanmoins que ces crimes n’auraient pas été conduits à l’échelle nationale mais locale. Dans ses précédents rapports, la procureure avait déjà évoqué les crimes de guerre commis par les forces américaines en Afghanistan. Cette fois, elle précise que les crimes commis dans les prisons secrètes de la CIA en Pologne, en Roumanie et en Lituanie, où « des membres présumés d’Al Qaeda et des Talibans auraient été transférés » depuis l’Afghanistan, relèvent aussi de ses compétences.
Des crimes approuvés par les plus hautes sphères du gouvernement américain
Fatou Bensouda indique que des « membres de l’armée américaine et de la Central Intelligence Agency (CIA) ont eu recours à des méthodes constitutives de crimes de guerre de torture, traitements cruels, atteintes à la dignité de la personne et viol ». L’examen préliminaire identifie en tout 88 victimes de ces crimes depuis le 1er mai 2003, CIA et forces armée confondues. Révélée en 2005, l’affaire des prisons secrètes avait fait l’objet d’une enquête du Conseil de l’Europe. En juin 2007, le sénateur suisse, Dick Marty, avait estimé que le système de prison secrète était une véritable « toile d’araignée mondiale ». Plusieurs pays européens avaient fermé les yeux sur les activités de la CIA sur leur territoire, dont la Pologne, la Roumanie et la Lituanie, membres de la Cour, qui est dès lors compétente pour enquêter sur les crimes commis sur leur territoire. Elle leur demande des éléments supplémentaires sur de possibles procédures en cours. Les Etats ayant primauté, elle n’aurait dès lors pas à ouvrir d’enquête. Mais il faudrait que les poursuites nationales visent les mêmes crimes et ciblent les responsables et non de simples exécutants. Fatou Bensouda place d’ailleurs la barre haut, puisqu’elle indique que « la gravité des crimes allégués est renforcée par le fait qu’ils auraient été perpétrés en exécution d’un plan ou d’une politique approuvée dans les plus hautes sphères du gouvernement américain, au terme de longues délibérations » et précise que cette politique visait à obtenir « des renseignements au travers de techniques d’interrogatoire s’appuyant sur des méthodes cruelles ou violentes destinées à servir les objectifs américains dans le conflit en Afghanistan ». Selon les éléments en possession de la procureure, aucune enquête concluante n’a été conduite aux Etats-Unis.
Le dossier irakien en sommeil
A l’heure où trois Etats africains – le Burundi, l’Afrique du Sud et la Gambie – ont décidé de se retirer du traité de la Cour, au motif qu’elle ne cible que des Africains, le rapport offre une vue plus universelle du travail de la procureure. Concernant le Burundi, la procureure indique que le retrait du pays du traité de la Cour ne sera effectif que le 27 octobre 2017, soit un an depuis la notification de Bujumbura au Secrétaire général de l’Onu. Fatou Bensouda indique qu’elle pourrait, d’ici là, ouvrir une enquête et que durant cette période, le Burundi a l’obligation de coopérer. Dans ce rapport annuel, présenté traditionnellement quelques jours avant l’ouverture de l’Assemblée des Etats parties, prévue cette année le 16 novembre, la procureure évoque aussi l'Irak, mais par la petite porte. Bagdad n’a pas ratifié le traité de la Cour, qui n’est dès lors compétente que pour les crimes commis par les ressortissants d’Etats membres de la Cour. En mai 2014, elle avait rouvert le dossier, fermé par son prédécesseur, concernant des allégations de torture commises par les soldats britanniques en Irak. « Sur la base des informations fournies par les organisations PIL [Public Interest Lawyers] et ECCHR [European center for constitutional and human rights], le bureau a recensé au moins 25 formes de sévices les plus fréquemment employés et infligées de plus de 140 façons. » Le rapport évoque une longue litanie de techniques de torture, privation sensorielle, stimulation excessive des sens, privation de vêtements, de nourriture et de soins médicaux, etc. Vint-et-un prisonniers auraient aussi été victimes de viols et de violences sexuelles. La magistrate gambienne affirme avoir bénéficié « de la coopération pleine et entière des parties prenantes », ONG et autorités britanniques, et pris en compte le rapport Chilcot, publié en juillet dernier à Londres et qui conclut que l’intervention armée de 2003 en Irak « n’était pas inévitable ». La procureure, qui ne tire pour l’heure aucune conclusion, indique que des enquêtes conduite par l’Irak Historic Allegations Team sont toujours en cours.
Le sensible dossier de la Palestine
Parmi les dossiers les plus sensibles aujourd’hui sur le bureau du procureur, figure la Palestine. A la demande de Ramallah et suite à l’adhésion de la Palestine à la Cour, début 2015, la procureure avait ouvert un examen préliminaire sur les crimes commis à Gaza lors de l’opération Bordure Protectrice durant l’été 2014. « Toutes les parties auraient commis des crimes durant ce conflit de 51 jours », écrit la procureure. Les groupes palestiniens, dont le Hamas, sont suspectés d’avoir commis des attaques au mortier aux alentours de Gaza et à Tel Aviv, d’avoir utilisé la population comme bouclier humain lors des bombardements israéliens, et infligé de mauvais traitements à des civils soupçonnés de collaboration avec Israël. De leur côté, les forces de défense israéliennes auraient conduit des attaques contre des civiles, du personnel et des installations médicales, et des bâtiments des Nations unies. La procureure s’intéresse aussi à la colonisation israélienne, mais sur aucune de ces affaires, elle n’avance, pour l’heure, de conclusion. Elle indique simplement devoir encore analyser « les renseignements sur les éventuelles poursuites pertinentes menées à l’échelon national ». Si la procureure ne semble pas bénéficier de la coopération d’Israël, l’une de ses équipes a pu néanmoins se rendre sur place début octobre, sans toutefois enquêter. Pour Tel Aviv, la Palestine n’a pas autorité d’Etat et ne peut dès lors saisir la Cour ou en être membre.
Le contrôle des forces russes sur les séparatistes ukrainiens
Sur l’Ukraine, la procureure pourrait commencer à vérifier si des procédures ont été engagées par la justice nationale. L’Ukraine n’a pas ratifié le traité de la Cour, mais avait reconnu sa compétence pour les crimes commis depuis le 21 novembre 2013, début des manifestations contre le régime de Victor Ianoukovitch. Suite au rejet d’un accord de partenariat avec l’Europe et pour protester contre la corruption du régime, près de trois mois de manifestations se soldaient par la fuite vers la Russie du président. En 2015, la procureure avait conclu provisoirement que les événements de Maïdan, place centrale de Kiev où se regroupaient les manifestants, relevaient de violations graves des droits de l’homme et non de crimes contre l’humanité. Concernant les crimes commis dans l’est de l’Ukraine, la procureure souligne l’échec des accords de cessez-le-feu de Minsk, qui ont permis de réduire l’intensité des combats mais sont quotidiennement violés. Depuis le 30 avril 2014, hostilités entre les forces ukrainiennes et les volontaires opposés aux séparatistes pro-russes du Donbass, à l’est de l’Ukraine, auraient fait plus de 9500 morts. La procureure n’a pas encore rendues de conclusions sur le niveau d’implication des forces russes et indique qu’elle doit encore évaluer si « elles ont dirigé de manière générale la planification des opérations menées par ces groupe ou y ont contribué d’une manière qui laisserait entendre qu’elles exerçaient un contrôle véritable sur eux ».
Un procès guinéen sur le modèle Habré ?
Comme la Guinée, la Colombie fait office de véritable laboratoire de la complémentarité. Au fil de ces rapports, la procureure indique suivre de près les procédures en cours. En Colombie, c’est l’accord de paix signé fin septembre entre les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et le gouvernement, qui fait l’objet de son attention. L’accord, néanmoins rejeté par la population lors d’un référendum, prévoit la création de « juridictions spéciales pour la paix », qui seraient chargées de poursuivre les auteurs de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, tout en proposant une procédure plus allégée à ceux qui reconnaitraient leurs crimes. Sur l’affaire des « Faux positifs », dans laquelle les forces colombiennes faisaient passer l’assassinat de civils pour des rebelles morts au combat, la procureure indique que de nombreuses procédures ont été bouclées et d’autres sont en cours, mais qu’elles n’impliquent pas pour l’instant les plus hauts responsables, mais des officiers de rangs intermédiaires. Elle fait aussi état de plusieurs jugements rendus par les tribunaux créés dans le cadre de la loi Justice et paix, visant notamment les paramilitaires pour des faits de déplacements forcés, et au terme desquels plusieurs supérieurs ont été poursuivis et condamnés.
La Guinée mettra-t-elle sur pied un tribunal spécial ? Le bureau du procureur suit depuis 2010 les enquêtes en cours concernant le massacre du 28 septembre 2009 dans le stade de Conakry, où l’opposition avait été violemment réprimée. Selon le rapport de la procureure, 14 personnes seraient actuellement inculpées dont le capitaine Moussa Dadis Camara, alors président suite à un coup d’Etat perpétré neuf mois avant le massacre. La Guinée a annoncé l’ouverture d’un procès en 2017. Selon Fatou Bensouda, « les autorités guinéennes, la société civile ainsi que d’autres partenaires concernés aspirent à tirer les enseignements du précédent plein de promesses créé par le procès de l’ancien président Hissène Habré ».