Répression à huis clos, "fuite en avant" d'un régime qui se radicalise, et risque génocidaire: un rapport de la Fédération internationale des droits de l'Homme décortique la "descente aux enfers" du Burundi depuis avril 2015 et exhorte la communauté internationale à "agir avant qu'il ne soit trop tard".
Fruit d'un an et demi d'enquête menée par les membres et informateurs de la FIDH et de son organisation au Burundi, Iteka, le volumineux rapport de plus de 200 pages publié mardi documente les crimes et la répression commis depuis le début de la crise politique, provoquée par la décision du président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat en avril 2015.
Des manifestations avaient alors été violemment réprimées, et un coup d'Etat manqué en mai 2015 a fait basculer le pouvoir dans une répression systématique. Le président Nkurunziza a été réélu en juillet 2015, et les tendances répressives se sont "intensifiées", selon le rapport, qui évoque assassinats ciblés, détentions arbitraires massives et "ethnicisation" de la crise.
Le tout de pair avec une radicalisation et un isolement croissant du régime, qui coupe les ponts avec la communauté internationale: en octobre, Bujumbura, vivement critiqué par l'ONU, a rompu toute coopération et surtout s'est retiré de la Cour pénale internationale (CPI), entraînant plusieurs pays africains dans son sillage.
Selon la FIDH, la crise au Burundi a fait à ce jour plus de 1.000 morts, 8.000 personnes détenues pour des motifs politiques, 300 à 800 disparus, et a poussé plus de 300.000 personnes à l'exil.
Les crimes sont essentiellement l'oeuvre des forces du régime et du parti au pouvoir, le CNDD-FDD, selon l'ONG, qui pointe notamment le rôle crucial des Imbonerakure, son organisation de jeunesse et milice pro-pouvoir. Le rapport relève aussi des exactions commises par des groupes armés de l'opposition, notamment les Forces républicaines du Burundi (FOREBU) et la Résistance pour un Etat de droit (RED-Tabara).
- 'torturé matin midi et soir' -
"Les crimes du régime sont devenus systématiques et l'appareil d'Etat est au service de cette répression de masse. Des crimes contre l'humanité sont en cours et il existe un risque de génocide", dénonce Anschaire Nikoyagize, président d'Iteka.
Le rapport estime que la répression s'est systématisée après l'attaque de casernes militaires à Bujumbura par des groupes armés rebelles en décembre 2015. "Disparitions forcées, exécutions sommaires à huis clos, lieux de détention secrets, recours aux fosses communes, crimes sexuels, musellement de la presse et des ONG", énumère le rapport, qui évoque aussi une pratique généralisée de la torture.
"J'ai été torturé matin midi et soir" pendant un mois dans un cachot du service national de renseignement", témoigne ainsi le responsable d'un parti d'opposition arrêté en 2015.
La FIDH pointe les "dynamiques génocidaires" en oeuvre au Burundi où, selon elle, "tous les critères et les conditions de la perpétration d'un génocide sont en place" dans ce pays ravagé par une guerre civile meurtrière entre 1993 et 2005.
"Les Tutsi sont toujours plus visés par les violences et assimilés aux opposants au pouvoir, malgré la présence de beaucoup de Hutu au sein de l'opposition politique, la société civile et l'opposition armée", s'inquiète le rapport. "Les discours des autorités semblent désormais faire partie d'une véritable idéologie ethnique et génocidaire d'Etat", ajoute-t-il, citant particulièrement les paroles incendiaires d'officiels appelant à "pulvériser" ou "lessiver" les Tutsi.
"Il faut arrêter cette descente aux enfers (...) agissons avant qu'il ne soit trop tard", exhorte pour sa part Dimitris Christopoulos, président de la FIDH.
L'ONG appelle l'Union africaine et les Nations Unies à déployer une mission d'imposition de la paix, et à relancer le dialogue politique, au point mort. Ils demandent également à la CPI d'enquêter sur les crimes perpétrés au Burundi.