Au Canada, pendant plus d’un siècle, les enfants autochtones ont été coupés de leur famille, de leur communauté et de leur culture et forcés de fréquenter des internats subventionnés par l’État et gérés par l’Église dans un effort concerté visant l’assimilation à la majorité dominante.
Le long passé et la pratique soutenue du système des pensionnats indiens ou des écoles résidentielles (Indian Residential School System/ IRSS) est une question qui a longtemps été passée sous silence pour être finalement abordée par la mise en place d’un processus officiel de recherche de la vérité, entre 2009 et 2015, au sein de la Commission de Vérité et Réconciliation du Canada (CVR). Aujourd’hui, la phase de la recherche de vérité est terminée, mais le chemin vers l’objectif final d’une réconciliation entre Canadiens autochtones et non-autochtones ne fait que commencer.
Entre 1867 et 1998, au moins 150 000 enfants ont séjourné dans plus de 138 pensionnats répartis dans l’ensemble du territoire canadien, dans lesquels le niveau d’enseignement était limité et la négligence institutionnalisée. |
Selon la CVR, la réconciliation consiste à établir et à maintenir des relations respectueuses entre Canadiens autochtones et non-autochtones. Elle englobe des objectifs et un processus dont les lignes directives figurent dans le Rapport final de la Commission, et en particulier dans ses 94 appels à l’action. Ces recommandations cherchent à « remédier aux séquelles laissées par les pensionnats et faire avancer le processus de réconciliation » à travers des initiatives qui ont trait à différents aspects de la vie des Canadiens, comme l’éducation, la santé, la justice, les médias, le commerce, les arts et les sports. Le gouvernement canadien s’est engagé à appliquer l’intégralité de ces recommandations, en partenariat avec les communautés autochtones, les provinces et les territoires, ainsi que d’autres acteurs clefs. Même si certaines mesures ont été déjà mises en œuvre, ce groupe varié, constitué des différentes parties prenantes, ne s’est néanmoins pas prononcée, de manière collective, sur une définition claire et commune de la réconciliation. Du reste, le rapport de la CVR et ses recommandations mettent en évidence des tensions sur trois points fondamentaux concernant la notion et la pratique de la réconciliation : (1) Quels sont les problèmes sous-jacents qui doivent être traités ? (2) De quelle façon le Canada doit-il ajuster sa notion d’identité ? (3) À qui incombe la responsabilité de prendre l’initiative ? Il est indispensable de tenir compte de ces problématiques d’ordre conceptuel et opérationnel et d’y répondre, si l’on veut que la réconciliation puisse aboutir.
« Nous avons un plan pour que notre relation de nation à nation repose sur la reconnaissance, les droits, le respect, la coopération et le partenariat, et nous le mettons déjà en œuvre. » – Déclaration du Premier Ministre, Justin Trudeau, à l’occasion de la présentation du Rapport final de la CVR Statement on Release of the TRCC’s Final Report |
1 . Définir la portée du problème
Le premier point sensible qui ressort du rapport de la CVR est de définir la portée du problème. Cela requiert une reconnaissance simultanée du système des pensionnats indiens à la fois comme simples vestiges de l’histoire coloniale du Canada et comme microcosmes servant à comprendre et à changer de manière générale les structures héritées du passé colonial et toujours existantes. Le rapport de la Commission établit un équilibre, en précisant qu’aborder la question spécifique des pensionnats indiens dans le passé est une condition préalable nécessaire mais que cela reste insuffisant par rapport à l’objectif final de la réconciliation. Ainsi, parmi les appels à l’action de la Commission, 42 recommandations tendent spécifiquement à remédier aux séquelles des pensionnats indiens et 52 autres prônent la réconciliation de manière plus générale.
Un grand nombre de ces recommandations traitent des politiques néfastes menées par les autorités canadiennes – au-delà du système des pensionnats indiens – et préconisent l’octroi d’un large éventail de droits sociaux, économiques et culturels aux Autochtones. Par exemple, à travers l’appel à reconnaître les droits fonciers des Autochtones, la CVR répond de manière efficace à l’une de ses premières craintes qu’un mandat limité à la seule question des pensionnats indiens ne l’empêche de faire valoir le lien direct entre le tort causé aux victimes de ce système et le départ forcé de familles et de communautés entières de leur territoire. En revanche, les recommandations de la CVR ne couvrent pas tous les aspects de la réconciliation : en particulier, ceux qui ne sont pas compris dans la définition traditionnelle de ce terme. Effectivement, même si le rapport de la Commission reconnaît le point de vue autochtone selon lequel le respect de la nature est un élément essentiel dans le processus de la réconciliation, aucune des recommandations ne suggère pour autant une action relative à la protection de l’environnement. Par conséquent, même si la CVR étend le concept de la réconciliation bien au-delà de la question des pensionnats, il est nécessaire d’établir une définition plus exhaustive et commune des causes profondes de la fracture entre les Canadiens autochtones et non-autochtones.
2 . Remodeler les identités
En prônant une réconciliation qui traite de la problématique des structures coloniales de manière plus générale, au-delà du système des pensionnats indiens, la CVR met en évidence un deuxième point sensible, qui concerne le remodelage des identités coloniales. Il faudra veiller, tout particulièrement, à concilier le désir de créer une identité canadienne très inclusive avec la nécessité de reconnaître l’identité spécifique des peuples autochtones, en tant que nations souveraines. D’une part, la Commission se fonde sur la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones – dont le principe central est le droit à l’auto-détermination – comme base pour la réconciliation. La Commission promeut ainsi l’identité unique et indépendante des peuples et des nations autochtones. D’autre part, un certain nombre des recommandations de la Commission proposent un effort d’intégration des Autochtones dans la société canadienne, en leur garantissant notamment un accès équitable au marché de l’emploi, à la formation et à des stages en entreprise. Cette disposition suggère un degré d’unification des activités et des identités.
Dans l’ensemble, la CVR semble néanmoins mettre en avant une conception de la réconciliation qui élargirait de manière efficace l’identité canadienne pour s’adapter aux identités autochtones, en leur accordant la même valeur, et enfin et surtout, pour contrer les rapports de force entre ces identités. L’objectif est certainement noble ; cependant le Canada ne connaît que trop bien les difficultés liées à la promotion d’une identité nationale commune sans un renforcement de la dynamique coloniale. C’est d’ailleurs l’échec continuel du Canada en la matière qui a abouti à la création de la CVR. Il faut donc réfléchir davantage à la manière dont les identités autochtones et la notion de nation peuvent être véritablement intégrées dans une identité nationale collective sans être compromises.
3. Initiative partagée
Le troisième point sensible, mis en lumière par les recommandations de la CVR, est lié aux rôles respectifs des communautés autochtones et non-autochtones et des responsables politiques dans le processus de réconciliation. Comme l’État canadien porte la responsabilité du système des pensionnats indiens et d’une manière générale des structures coloniales qui ont fracturé les relations entre les Canadiens autochtones et non-autochtones, il serait injuste et peu productif d’impartir aux peuples autochtones la charge difficile d’entamer l’initiative de réconciliation. Cela dit, certains attirent l’attention sur l’importance d’une démarche ascendante, « du bas vers le haut », dans l’approche de la réconciliation au Canada, surtout parce que les avancées réalisées jusqu’à présent – y compris la mise en place de la Commission – ont été obtenues par la mobilisation et la pression des Autochtones, face aux manœuvres d’obstruction et de déni de la part de l’État.
Si les appels à l’action de la CVR s’adressent directement à l’Etat canadien, ces recommandations sont censées, pour la plupart, se concrétiser « en consultation et en collaboration avec » les groupes autochtones. Or dans la mesure où cette consultation et cette collaboration doivent être initiées et contrôlées par les autorités, des inquiétudes persistent, à juste titre, à propos de la gestion paradoxale de la réconciliation par ceux là-mêmes dont les procédures bureaucratiques et étatiques ont constamment miné les relations entre les Autochtones et le reste des Canadiens. La réconciliation risque d’être compromise, dans la mesure où les actions émanant de l’Etat excluent les versions autochtones de la réconciliation, qui pourraient ne pas être adaptées aux législations, aux politiques et aux institutions existantes du pays. Un travail plus grand doit être effectué pour trouver des solutions permettant au gouvernement canadien d’initier le processus de réconciliation tout en donnant aux Autochtones la possibilité d’y contribuer d’en avoir un certain contrôle.
La voie qui mènera au changement
En soulignant ces tensions fondamentales, conceptuelles et opérationnelles, les appels à l’action de la Commission de Vérité et de Réconciliation offrent l’opportunité de développer une perception plus sophistiquée et nuancée de la réconciliation. Il est indispensable que tous les Canadiens aient cette même compréhension. En l’occurrence, le président de la Commission, Justice Murray Sinclair souligne l’importance de développer une vision commune de la réconciliation pour que les Canadiens autochtones et non-autochtones œuvrent ensemble et de manière efficace pour y parvenir. Ce n’est qu’à travers un travail de coopération visant à résoudre les tensions inhérentes à la notion et la pratique d’une réconciliation que les parties prenantes seront préparées à saisir les opportunités et à surmonter les obstacles qui entraveront le long chemin de la réconciliation, au Canada comme ailleurs.
« Pour autant que nous parvenions à nous accorder sur une vision des relations futures [entre Canadiens autochtones et non-autochtones], nous devons réfléchir à ce que nous pouvons faire aujourd’hui pour atteindre à cet objectif. » – Justice Sinclair, What is Reconciliation? |
* Michele Krech a participé à un programme de troisième cycle à la Faculté de Droit de New York University (NYU) et travaille actuellement à la Cour internationale de Justice à La Haye. Titulaire d’un LL.M. en études juridiques internationales, obtenu à la NYU School of Law, elle détient également un J.D. de l’Université d’Ottawa, un M.A. de la Norman Paterson School of International Affairs de Carleton University et un B.A. en Études du Développement mondial de l’Université Queen’s.