Le cru 2015 de l’Assemblée des Etats parties à la Cour pénale internationale est une nouvelle fois dominé par les questions africaines. Nairobi est parvenue à placer le procès du vice-président du Kenya au cœur des débats, provoquant la colère des ONG et de plusieurs Etats. Accusé de crimes contre l’humanité pour les violences qui avaient enflammé le Kenya suite à la présidentielle de décembre 2007, William Ruto est jugé par la Cour depuis septembre 2013. Au cours de son procès, plusieurs témoins sont revenus sur leur déposition initiale, et d’autres ont refusé de venir déposer à la barre. Selon l’accusation, des témoins clés auraient été intimidés ou corrompus, laissant entrevoir un risque d’acquittement. Mais fin août, les juges ont accepté d’inclure au dossier les dépositions de seize de ces témoins, recueillies par les enquêteurs au tout début de l’enquête et dans lesquelles ils accusent William Ruto. La défense a fait appel de cette décision. L’introduction de dépositions préalables au procès n’est possible que depuis l’adoption, par les Etats parties, d’un amendement au code de procédure pénale de la Cour. Or à l’époque des débats, en décembre 2014, Nairobi s’était assuré que cette procédure ne pourrait pas s’appliquer aux affaires en cours, dont celle de William Ruto.
Le Forum choisi critiqué
Mais Nairobi n’a pas attendu les conclusions de la chambre d’appel et demande aux Etats parties de prendre une résolution réaffirmant que cette procédure ne peut pas être rétroactive. « Nous pensons que les juges ont agi en dehors de leur autorité », estime Amina Mohamed, ministre des Affaires étrangères du Kenya. Si la position des kenyans est juridiquement défendable, c’est le forum choisi qui suscite de vives oppositions. L’Assemblée est essentiellement destinée aux questions budgétaires et administratives, et certains y voient donc des tentatives d’interférences dans le procès en cours. « Ils veulent utiliser l’assemblée pour intimider ou influencer les juges sur une décision qui est actuellement à l’étude », fustige Richard Dicker de Human Rights Watch. « Les autorités kenyanes devraient avoir honte de la façon dont elles essaient de manipuler les buts de cette assemblée. Années après années, les Kenyans insistent, en raison des affaires impliquant leurs représentants, représentants qu’ils n’ont pas poursuivis eux-mêmes pour les crimes commis lors des violences post-électorales de 2008. Ils sont déterminés à détourner l’assemblée. Honnêtement, s’ils ne sont pas satisfaits avec le traité, ils ont d’autres alternatives ». Parmi celles-ci, un retrait pure et simple du traité. A plusieurs reprises, Nairobi a menacé, sans pour autant franchir le pas.
Sortir le vice-président des griffes de la CPI
Déterminé à faire sortir le vice-président des griffes de la Cour, le Kenya demande aussi aux Etats parties d’ordonner un audit des enquêtes du bureau du procureur. « Le monde sait que le bureau du procureur a une dépendance aux témoins compromis », assure la ministre des Affaires étrangères du Kenya, « c’est l’histoire du bureau du procureur depuis que la CPI a été créée ». Le conseiller juridique du vice-président kenyan, affirme n’être guidé que par la volonté d’assurer « un procès équitable ». « Les règles ont changé au milieu du procès, est-ce vraiment le droit ? » fustige Korir Sing’oei qui déclare que la décision a été prise « pour faciliter l’obtention d’une condamnation pour le procureur ». L’assemblée devrait donc en débattre vendredi. La question a relégué au second plan les débats sur le budget, qui s’annoncent eux aussi tendus. Pour 2016, la Cour demande aux Etats de voter une enveloppe de 153 millions d’euros, en augmentation de 17,3% par rapport à l’année précédente.