Alors que se tient ce jeudi 17 novembre 2016, à Bruxelles, une Table ronde sur la Centrafrique, nombreuses sont les voix qui appellent les bailleurs de fonds à soutenir en priorité le secteur judiciaire en total délabrement dans cette ancienne colonie française.
La Centrafrique connaît depuis trois ans la crise la plus aiguë de son histoire émaillée depuis son indépendance en 1960 par des coups d'Etat à répétitions. Plus de la moitié du territoire national est actuellement contrôlée par des bandes armées qui sèment la mort au quotidien et se livrent au pillage des ressources naturelles dont le trafic leur permet de narguer un gouvernement pourtant démocratiquement élu il y a bientôt une année. Sans armée, sans police, ni système judiciaire digne de ce nom, le gouvernement continue par ailleurs d'assister, sans puissance, à des violences meurtrières, même à Bangui, la capitale.
« Soutenir les efforts en faveur des droits de l'homme »
« La justice et la réconciliation sont primordiales pour une paix durable », estime Marie - Thérèse Keita-Bocoum, experte indépendante de l'ONU sur la situation des droits de l'homme en Centrafrique. « La persistance des violations des droits de l'homme et une recrudescence de la violence depuis septembre montrent combien il est crucial de soutenir les efforts de la population et du gouvernement centrafricain en faveur des droits de l'homme et du développement », ajoute l'experte dont les propos sont repris par le service de presse de l’ONU.
Marie Thérèse Keita-Bocoum va participer à la Table ronde de Bruxelles à laquelle sont également attendus le président centrafricain Faustin –Archange Touadéra, le vice- secrétaire général de l'ONU, Jan Eliasson, ainsi que de hauts responsables de l'Union européenne (UE), de la Banque mondiale (BM) et du Fonds monétaire internationale (FMI).
Soutenir la Cour pénale spéciale
Un appel semblable à celui de l'experte des Nations unies est lancé par 17 organisations centrafricaines et internationales de défense des droits de l'homme, parmi lesquelles Human Rights Watch (HRW), la FIDH et Amnesty International. Elles « appellent les États et les organismes internationaux à s'engager de toute urgence à fournir un soutien financier et technique à la Cour pénale spéciale (CPS) ».
La loi instaurant une Cour pénale spéciale au sein du système judiciaire centrafricain a été promulguée en juin 2015 par la présidente de transition Catherine Samba-Panza. La création de cette cour vise à compléter le travail de la Cour pénale internationale (CPI) à laquelle le même gouvernement de Mme Samba-Panza a déféré la situation en Centrafrique depuis août 2012. Cette Cour pénale spéciale, qui sera composée de magistrats et de personnel nationaux et internationaux, a pour mandat de mener des enquêtes et des poursuites concernant les graves violations des droits humains perpétrées en Centrafrique depuis 2003.
Pour les 17 organisations signataires de cet appel collectif, « la communauté internationale devrait maintenir son engagement durable envers la République centrafricaine, et envers la justice en particulier, afin de veiller à ce que le pays ne s'enfonce pas dans une nouvelle crise ». Le système judiciaire centrafricain reste trop faible pour mener des enquêtes et des poursuites efficaces pour les crimes d'atrocités de masse. L'enquête de la CPI en Centrafrique offre aux victimes une autre voie indispensable vers la justice, mais elle ne peut pas, selon les signataires, résoudre plus d'une décennie de crimes relevant du droit international, car il est probable qu'elle ne ciblera qu'un petit nombre de suspects. Ces ONG estiment par ailleurs qu'une Cour pénale spéciale « forte et fonctionnelle » aura un impact positif sur le système judiciaire centrafricain qui pourra bénéficier de cette expertise internationale.
Pour ce qui est de l'aspect financier, la CPI devrait coûter, selon les estimations officielles, 40 millions de dollars américains au cours des cinq prochaines années. Mais, sur cette somme, seulement 5 millions ont été déjà réunis. « Nous demandons instamment aux bailleurs de fonds de garantir un engagement continu envers la CPS pendant toute la durée où elle s'efforcera de remplir son mandat », ajoute le texte.
La CPI n'a pas encore émis de mandat d'arrêt
Alors que la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, a ouvert en septembre 2014 une enquête sur la situation en Centrafrique à partir de 2012, aucun mandat d'arrêt n'a encore été émis. L'enquête de la CPI porte essentiellement sur les crimes de guerre et crimes contre l'humanité qui auraient été commis dans le contexte du conflit en Centrafrique depuis le 1er août 2012, tant par la Séléka (coalition rebelle ayant chassé du pouvoir le président François Bozizé) que par les groupes anti-balaka (milice opposée à la Séléka). Ces violences auraient fait des milliers de morts et des centaines de milliers de personnes déplacées. A un moment donné, l'ONU a même tiré la sonnette d'alarme sur un risque élevé de génocide dans le pays.
En cas d'ouverture effective de la Cour pénale spéciale, dont la compétence temporelle est plus large, ce sera la première fois qu'un tribunal mixte entre en scène dans une situation où la CPI est également présente.