La Birmanie a entrepris une campagne de "nettoyage ethnique" contre la minorité des musulmans rohingyas, a affirmé un représentant de l'ONU au Bangladesh, où se sont réfugiés ces dernières semaines des milliers de familles fuyant l'armée birmane accusée notamment de viols.
Viols en réunion, tortures, meurtres et massacres: les Rohingyas qui ont franchi la frontière ces derniers jours ont raconté les violences que leur font subir les soldats birmans dans l'ouest du pays. Les récits d'agressions sexuelles sont légion parmi les femmes rohingyas interrogées par l'AFP au Bangladesh.
"Lorsque l'armée a attaqué notre village, ils ont mis le feu à la plupart des maisons, tué de nombreuses personnes, dont notre père, et violé beaucoup de jeunes filles", raconte Mosammat Habiba, 20 ans, terrée avec sa sœur dans une plantation de bananes.
Les militaires birmans ont "emmené mes deux garçons de neuf et douze ans quand ils sont entrés dans mon village. Je ne sais pas ce qui leur est arrivé", raconte Deen Mohammad, paysan rohingya de 50 ans.
"Cinquante femmes et filles de notre village ont été torturées et violées", affirme-t-il aussi.
John McKissick, directeur du Haut Commissariat des Nations pour les réfugiés (UNHCR) dans la ville bangladaise frontalière de Cox's Bazar (sud), a estimé sur la BBC que ces actes s'apparentaient à un "nettoyage ethnique", sur la base de témoignages de réfugiés.
D'après les Nations unies, 30.000 personnes ont été déplacées par ces violences qui ont fait des dizaines de morts depuis le début de l'opération de l'armée birmane à la suite d'attaques de postes de police début octobre.
Ignorant les pressions de la communauté internationale l'exhortant à ouvrir sa frontière pour éviter une crise humanitaire, le Bangladesh, qui estime que des milliers de réfugiés supplémentaires se sont massés à la frontière, a appelé la Birmanie à prendre des "mesures urgentes" pour stopper l'arrivée des Rohingyas sur son territoire.
"Il est très difficile pour le gouvernement bangladais de déclarer ouverte sa frontière, car ceci pourrait encourager le gouvernement birman à continuer les atrocités et à pousser les Rohingyas dehors, jusqu'à atteindre son objectif final de nettoyage ethnique de la minorité musulmane de Birmanie", a expliqué M. McKissick.
Ces accusations ont été contestées par Zaw Htay, porte-parole du gouvernement de la Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, au pouvoir depuis quelques mois.
Par la voix de sa porte-parole régionale Vivian Tan, le HCR a réclamé l'ouverture aux humanitaires de la zone touchée en Etat Rakhine. Les journalistes étrangers n'y ont pas accès non plus.
Des milliers de musulmans ont manifesté vendredi dans plusieurs pays d'Asie pour dénoncer la situation. Plus de 5.000 musulmans se sont rassemblés après la prière du vendredi à Dacca, la capitale du Bangladesh.
Génocide
Amnesty International a qualifié les actions de l'armée birmane de "punition collective" contre la population rohingya pour les attaques des postes de police en octobre.
"Au lieu d'enquêter et d'arrêter des suspects précis, l'armée a mené des opérations s'apparentant à une punition collective", s'est indigné le directeur de l'organisation pour l'Asie du Sud, Champa Patel. Fin mars, Aung San Suu Kyi a pris les rênes du pays, après des élections historiques il y a un an. Mais elle ne s'est quasiment pas exprimé sur le sujet, dans un pays où l'armée échappe à tout contrôle.
Pour l'organisation International State Crime Initiative (ISCI) basée à Londres, la situation dans l'Etat Rakhine évoque un génocide à ses débuts.
"Ces événements participent de la configuration dérangeante mais totalement prévisible du processus génocidaire", a déclaré Alicia de la Cour Venning, avocate et chercheur de l'organisation. Pour Thomas MacManus, également chercheur à l'ISCI, le comportement du gouvernement Suu Kyi évoque les "tactiques courantes utilisées en temps de dictature consistant à faire la politique de l'autruche".
"Seules d'importantes pressions sur le gouvernement birman pourront mettre fin au désastre. Les Rohingyas font face à la mort", a-t-il déclaré.
Haïs par une partie de la population, à 95% bouddhiste, les Rohingyas sont considérés comme des étrangers en Birmanie et sont victimes de multiples discriminations.
En Etat Rakhine, des milliers d'entre eux vivent dans des camps depuis des violences intercommunautaires en 2012 entre bouddhistes et musulmans, qui avaient fait près de 200 morts.