La guérilla des Farc et le pouvoir ont signé la semaine dernière un nouvel accord de paix qui ne convainc pas l’opposition et laisse planer des doutes sur l’application de la justice à certains secteurs de l’armée colombienne.
Le chef des négociateurs du gouvernement colombien, Humberto de la Calle, l’avait dit: “l’unanimité est impossible”. Rejeté une premère fois par les électeurs le 2 octobre, l’accord de paix remanié et signé avec la guérilla marxiste le 24 novembre continue à diviser les Colombiens. Après un examen des 310 pages, l’opposition a donné son verdict: les modifications sont, selon leur chef de file, l’ancien président Alvaro Uribe, cosmétiques. “Le pouvoir a voulu tromper l’opinion ”. Ce camp reproche au gouvernement du président Juan Manuel Santos de ne pas avoir revu de fond en comble le chapitre justice de l’accord. La Fédération des Victimes Colombiennes de la guérilla (FEVCOL) exigeait des peines intra muros de 5 ans pour les dirigeants du groupe marxiste et leur inéligibilté durante cette période. Ces demandes n’ont pas été incluses.
Dans une interview accordée à justice Info récemment , le juriste colombien Rodrigo Uprimny a rappelé que cette question a été au coeur des débats à la Havane. “Même si j’ai défendu l’idée de la prison au départ, les arguments de la guérilla contre la détention sont recevables. Il s’agit d’une part d’une question de dignité: négocier pour terminer dans un cellule de l’ennemi, c’est capituler. L’accord les oblige à reconnaître leurs torts et réparer les victimes sans passer par cette humiliation, et les peines réparatices, sont plus utiles que l’enfermement. Leur dernier argument est pragmatique: comment, de la prison, diriger le désarmement, s’assurer que la troupe suive?”, résumait le juriste.
Justice spéciale
Dans cette nouvelle version, le fonctionnement de la justice spéciale de paix est détaillé. Le texte insiste sur le fait que le tribunal aura toutes les facultés d’enquêter sur les crimes des guérilleros pour garantir des aveux complets, sans lesquels ils ne bénéficieront pas des aménagements de peine prévus: une restriction à la liberté durant 5 à 8 ans. Le terme de “restriction à la liberté” est précisé: les mouvements des guérilléros pourront être limités au hameau où ils rendront les armes. Le tribunal fixera les horaires durant lesquels ils purgeront leurs peines destinées à réparer les victimes, comme le déminage, et définira les horaires et conditions de sortie de ce périmètre. Le groupe marxiste s’engage aussi à livrer tous ses biens pour dédommager les victimes.
Ces précisions répondent en partie aux objections de l’organisation Human Rights Watch, qui considérait le premier accord de paix trop vague sur ces points, et aux mises en garde de la Cour Pénale Internationale, selon lesquelles tout dépendrait du “sérieux des sanctions”. Mais des failles subsistent. Selon l’accord, les guérilleros, même condamnés, pourront siéger au Parlement. “Dans les faits, ils seront libres: ils passeront leur temps dans la capitale pour assurer leurs fonctions politiques”, craint notamment la sénatrice Sofia Gaviria, dirigeante de la FEVCOL, soeur d’un gouverneur tué en captivité par les Farc en 2004.
Victimes
Par ailleurs, le nouvel accord semble restreindre les possibilités du tribunal de paix de condamner les commanditaires de crimes, dont les militaires, responsables de nombreuses exécutions extra-judiciaires. Cédant à la pression d’un groupe d’officiers, le gouvernement a gommé, quelques heures avant la signature, un paragraphe citant l’article 28 du Statut de Rome, et précisant que les officiers et dirigeants du groupe armé seraient solidairement responsables des délits de leurs subalternes, s’ils avaient eu connaissance explicite des faits, ou si leur position les obligeait à savoir. Le passage a été remplacé par une formule exclusivement destinée à rassurer l’armée. Seuls seront condamnés ceux qui étaient en mesure d’ “exercer un controle réel sur leurs subalternes, en relation avec l’exécution du délit”, et s’ils en avaient été “informés avant, pendant et après”. La guerilla a rejeté ce changement de dernière minute. “Nous croyons que ce sera une source de préoccupations pour les victimes et pour le procureur de la Cour Pénale Internationale (…). Nous souhaitons préciser que nous nous y opposons”, ont insisté les Farc dans un communiqué passé presque inaperçu en Colombie.
Si, chez la guérilla, la volonté de dire la vérité parait sincère, rien n’est moins sûr du côté de l’armée. Plusieurs généraux et colonels sont actuellement poursuivis pour exécutions, massacres et disparitions, et refusent de reconnaître leur responsabilité pénale dans ces faits. L’armée est impliquée dans des milliers de cas dits de faux positifs, une pratique qui consistait à tuer des civils pour les présenter comme des guérilléros morts au combat. Un rapport récent du Centre National de mémoire historique estime que la Colombie compte 60 600 disparus, plus que toutes les dictatures du Sud du continent. Parmi eux, beaucoup ont été victimes de cette guerre sale sur laquelle les élites du pays refusent visiblement de faire la lumière.