Bâti au début des années 1970 le tribunal de Bobigny tranche avec les prestigieuses moulures et lambris de la cour d’assises de Paris. Tuyauterie apparente, béton brut, aluminium et verre ne réchauffent pas le maigre public. Sur la droite en surplomb de la salle d’audience, le box de l’accusé permet de le voir entièrement. Vêtu du même cuir beige qu’à son premier procès, Pascal Simbikangwa domine de sa chaise roulante ses avocats, vers lesquels il se penche acrobatiquement pour de fréquents commentaires. Lunettes au nez, l’accusé, après sept années de procédure, connaît son dossier sur le bout des doigts. Il en cite les cotes, qu’il extrait d’un sac plastique jaune des vins Nicolas. Ses stylos Bic et tube de colle à portée de main dans sa trousse d’écolier infortuné, un pochon transparent à glissière.
Indifférence générale
Samedi 3 décembre 2016, le verdict d’appel de ce procès qualifié d’historique il y a deux ans sera rendu, dans l’indifférence générale. Tandis qu’à Paris comme à Kigali, les échanges de coups de feu judiciaires éclatent à nouveau, la presse française comme la presse rwandaise ont boudé cette répétition du premier procès, tout comme une partie de la communauté rwandaise de France. Seul compte rendu disponible des audiences : celui réalisé par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), qui a lancé la première plainte contre Pascal Simbikangwa en 2009. Quelques membres de l’association assistent au procès.
Plaidant après les parties civiles, l’accusation a retracé jeudi le portrait de cet ancien agent des services de renseignement, provoquant chez le Rwandais roulements d’yeux et hochements de tête excédés. L’homme est accusé de complicité de génocide et de complicité de crimes contre l’humanité pour des crimes commis au Rwanda entre avril et juin 1994. Il plaide non coupable. Au pupitre de l’accusation le grand Ludovic Hervelin-Serre, longiligne plaideur méticuleux semble sortir d’un dessin d’audience du XIXe siècle de Daumier. Il tire d’une voix claire le fil des témoignages venus, 22 ans après les faits, dépeindre un homme craint et respecté, proche de l’élite Hutu au pouvoir, resté à Kigali quand les massacres qui se déclenchent après l’attentat du 6 avril 1994 qui abat l’avion du président Habyarimana, qu’il aimait « comme un père » selon l’enquête de personnalité.
« Aveuglement volontaire »
Le génocide est brutal et rapide à Kigali. En trois jours les rues de la capitale comptent déjà 20.000 morts, selon le témoin expert André Guichaoua. Cent jours plus tard, l’ensemble des victimes des massacres, majoritairement des Tutsi, est estimé à plus de 800.000 morts. Le procureur fustige « l’aveuglement volontaire » de Pascal Simbikangwa, qui a admis être sorti de sa résidence une « dizaine de fois » durant un génocide qu’il ne nie pas, mais qui assurait tout d’abord n’avoir vu aucun cadavre à Kigali. Il s’est un peu repris en appel : ah si, il a vu de loin une personne brûler dans un pneu, un « ennemi de l’intérieur ». En appel toujours, l’accusé s’est aussi souvenu avoir aperçu un camion benne rempli de cadavres.
Alors quel fut le rôle précis de Simbikangwa dans le génocide ? Selon les mots du procureur, seuls des « fragments de l’iceberg » ont pu être apportés par plusieurs témoins à la mémoire nécessairement parcellaire après tout ce temps. « Vous souvenez-vous de ce que vous faisiez, précisément, il y a vingt-deux ans ? », demande-t-il aux jurés. « Seul Pascal Simbikangwa détient la vérité. Il est celui qui sait exactement ce qu’il faisait à Kigali. Mais nous l’a-t-il fait partager ? » « Nous nous sommes approchés de la vérité autant qu’il est possible. Nous avons plus de témoins concordants sur les charges qui pèsent contre Pascal Simbikangwa que dans beaucoup de dossiers criminels ! » estime malgré tout le procureur.
Cohérence d’ensemble
Les parties civiles comme l’accusation plaident la cohérence d’ensemble. « Ce qui importe, c’est que tous s’accordent sur l’essentiel : ils ont vu des armes dans la maison de Simbikangwa. Nous avons des témoins qui voient entrer des armes, d’autres qui en voient sortir, d’autres qui disent en avoir reçues. » Lorsque l’accusé est vu sur les barrages de miliciens, là aussi les témoignages convergent, selon Hervelin-Serre, sur son rôle de superviseur et sur les encouragements qu’il prodigue. La défense s'évertue à dénoncer les faux témoignages. Ce vendredi, Me Alexandra Bourgeot s’est appliquée à pointer chaque témoignage concernant les distributions d’armes comme les encouragements prodigués sur les barrières à Kigali, au cœur de l’accusation. « Un témoin seul est un témoin nul ! » s’est-elle exclamée à plusieurs reprises lors de sa plaidoirie finale.
À l’issue du premier procès une partie des faits reprochés à l’accusé, ceux situés dans le Nord du pays à Gisenyi, avaient fait l’objet d’un acquittement. Le jugement avait relevé une incompatibilité de dates et la fragilité de certains témoignages « laissant présumer une certaine concertation entre eux peu compatible avec la vérité ». Me Fabrice Epstein, le co-conseil de Pascal Simbikangwa appelle de ses vœux les mêmes conclusions en appel pour les faits situés à Kigali, et enjoint aux jurés de prononcer cette fois « un acquittement total » ; l’avocat exhorte les neuf jurés non professionnels « d’aller jusqu’au bout, de ne pas se cacher derrière les [trois] magistrats professionnels ». « Vous n’avez pas les relations diplomatiques à sauver entre la France et le Rwanda. De toute façon c’est foutu ! »
« Dissipez le doute déraisonnable ! »
La veille, l’avocat général Rémi Crosson du Cormier avait déjà interpellé le jury, lequel doit dit-il « exercer un deuxième regard » en appel sur un homme « à la personnalité complexe […] que l’on a successivement vu comme craintif, secret, généreux avec ses proches, passionné par la politique, méfiant, loyal, méticuleux, coléreux… » Pour lui, une certitude s’est dégagée du procès : les exactions réputées commises contre des opposants par l’ancien officier de renseignement avant le génocide ainsi que les convictions politiques de l’accusé l’ont poussé « à se joindre au mouvement collectif de persécution des Tutsis dès lors qu’il a appris la mort du président Habyarimana qu’il considérait comme un père ». Dès lors il a fourni des armes et donné des instructions aux tueurs participant à l’élimination massive des Tutsi. « Faites-vous confiance, dissipez le doute déraisonnable » a t-il enjoint aux jurés en demandant que sa peine soit maintenue à 25 ans de réclusion criminelle.
« Certitudes de complaisance »
Les avocats de la défense plaident le doute raisonnable, face à un accusé qui selon eux a été beaucoup caricaturé, au Rwanda comme durant son procès, et face à la difficulté d’avoir des certitudes à l’issue des témoignages entendus, vingt-deux ans après. « C’est à l’accusation d’apporter la preuve totale qu’il est coupable. Vous ne pouvez-vous satisfaire de certitudes de complaisance", a fustigé Me Epstein, "s’attaquant au réquisitoire du procureur qu’il compare à un concert de piano où le pianiste laisse le pied sur la sourdine. On n’entend rien. On ne fera pas de Pascal Simbikangwa un idéologue, un dirigeant, un membre de l’akazu (surnom donné par les Rwandais à l'entourage du Président Juvénal Habyarimana) ! »
Appelant les jurés à la dissidence, à ne pas se comporter en bons élèves, à se débarrasser des préjugés, l’avocat conclut sa plaidoirie : « Dites non. N’ayez d’autre but que d’aller toujours plus haut et vous acquitterez monsieur Pascal Simbikangwa. »