(Bruxelles) – L’ouverture devant la Cour pénale internationale du procès de Dominic Ongwen, un ancien commandant de l’Armée de résistance du seigneur (Lord’s Resistance Army, LRA), est un nouveau chapitre important dans la lutte contre l’impunité du groupe rebelle pour les crimes brutaux qu’il a commis dans le nord de l’Ouganda, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Le procès de Dominic Ongwen, enlevé alors qu’il était enfant puis devenu un haut commandant de la LRA, s’ouvrira le 6 décembre 2016 à La Haye. Les accusations portées contre lui seront lues, suivies des déclarations liminaires de l'accusation et des avocats qui représentent plusieurs milliers de victimes impliquées dans l'affaire. Le procès sera alors ajourné jusqu'au 16 janvier 2017, date à laquelle l'accusation commencera à présenter ses preuves.
« Le procès de Dominic Ongwen à la CPI représente un premier pas important vers la justice pour les atrocités perpétrées par la LRA », a déclaré Elise Keppler, directrice adjointe du programme Justice internationale à Human Rights Watch. « Les dirigeants de la LRA sont vilipendés dans le monde entier pour leur brutalité contre les Africains, mais jusqu’à présent aucun commandant de la LRA n’avait dû répondre de ses actes devant un tribunal. »
Dirigée par le seigneur de guerre ougandais Joseph Kony, la LRA a commis des atrocités contre des civils pendant près de trois décennies. Le groupe armé a enlevé des dizaines de milliers d'enfants pour les utiliser comme soldats et esclaves sexuels, et tué et mutilé des milliers de civils dans les régions reculées du nord de l'Ouganda, dans le nord-est de la République démocratique du Congo, au Soudan du Sud et en République centrafricaine.
Ongwen fait l’objet de 70 chefs d'accusation de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité commis dans le nord de l'Ouganda, où la LRA est née. Les accusations portent sur des crimes présumés commis en 2003 et 2004 lors d'attaques contre des personnes dans quatre camps pour personnes déplacées - Pajule, Odek, Abok et Lukodi – à savoir des meurtres, des actes de torture, l'asservissement, des persécutions et des pillages. Les accusations comprennent également des crimes sexuels et sexistes, ainsi que le recrutement et l'utilisation d'enfants soldats dans le nord de l'Ouganda de 2002 à 2005.
La CPI ne peut intervenir que lorsque les tribunaux nationaux ne peuvent ou ne veulent pas engager de poursuites. La CPI a ouvert une enquête sur les crimes commis dans le nord de l'Ouganda en juillet 2004, suite à une demande du gouvernement ougandais. La Cour a émis des mandats d’arrêt en juillet 2005 à l’encontre d’Ongwen et de quatre autres commandants de la LRA, dont Kony, qui reste en liberté. Les trois autres suspects auraient été tués ces dernières années.
Des accusations sont en cours contre un autre combattant de la LRA, Thomas Kwoyelo, devant la Division des crimes internationaux de la Haute Cour de l'Ouganda. Ce procès devrait s’ouvrir dans les prochains mois.
« Le procès de la CPI contre Ongwen souligne son rôle de tribunal de dernier ressort », a déclaré Elise Keppler. « « Les défenseurs des victimes à travers l'Afrique ont exhorté leurs gouvernements à soutenir la CPI à la suite des retraits récemment annoncés par trois pays africains. »
La CCI a été confrontée à des réactions négatives de la part de certains dirigeants africains depuis 2009, au prétexte que la CPI ciblerait l'Afrique. Les enquêtes de la CPI se sont concentrées presqu’exclusivement sur les crimes commis en Afrique, mais la majorité des enquêtes sont survenues à la suite d'une demande explicite ou d’une attribution de compétence de la part du gouvernement du pays où les crimes ont été commis - comme c’est le cas pour l’Ouganda.
L’Afrique du Sud, la Gambie et le Burundi ont annoncé leur retrait de la Cour en octobre et novembre. Les retraits - les seuls dont la Cour a été saisie - n'ont aucune incidence sur les procédures engagées contre Ongwen, selon Human Rights Watch.
Face aux retraits, plusieurs gouvernements africains - dont la Côte d'Ivoire, le Ghana, le Nigeria, le Sénégal et la Tanzanie - ont réaffirmé leur engagement à soutenir la CPI lors de la réunion annuelle de ses membres en novembre. Le président de l'Assemblée des États parties de la CPI, Sidiki Kaba, ministre sénégalais de la Justice, a exhorté le Burundi, la Gambie et l'Afrique du Sud à reconsidérer leurs décisions de se retirer de la Cour, retrait qui prendra un an pour entrer en vigueur.
La CPI étant basée à des milliers de kilomètres du nord de l'Ouganda, les efforts de la Cour pour rendre le procès accessible et significatif pour les populations locales sont particulièrement importants, a déclaré Human Rights Watch. Pour l’ouverture du procès, la CPI disposera de « sites d'observation » dans les quatre localités du nord de l'Ouganda où les crimes présumés se sont produits, ainsi qu'à Gulu, la plus grande ville de la région, et Coorom, région proche d'où Ongwen est originaire. La CPI amènera également des dirigeants communautaires locaux de l'Ouganda à La Haye pour observer l'ouverture du procès, avec l'appui du gouvernement danois.
Plus de 4 100 personnes sont des « victimes participantes » au procès d’Ongwen, représentées par deux équipes d’avocats. La participation des victimes à la CPI est une caractéristique novatrice de la justice internationale qui permet aux victimes, par l'entremise de leurs représentants légaux, de contribuer aux procédures, indépendamment de leur témoignage. Leur participation peut inclure l’interrogation des témoins et la présentation d’observations sur des sujets juridiques et factuels.
Pendant le procès, Ongwen aura droit à des protections pour assurer l'équité de la procédure et ses droits en tant qu'accusé. Ceux-ci comprennent le droit à un avocat et la présomption d’innocence.
Selon les informations disponibles, les combattants de la LRA ont enlevé Ongwen dans le nord de l'Ouganda pour l’intégrer dans leurs rangs quand il avait une dizaine d’années et ils l'ont forcé à suivre une formation militaire. Il est parvenu au rang de haut commandant. Le 6 janvier 2015, des conseillers militaires américains travaillant avec la Force régionale d’intervention de l'Union africaine en République centrafricaine, où certains groupes de la LRA demeurent opérationnels, ont placé Ongwen en garde à vue. Il a par la suite été transféré à la CPI.
Ongwen est censé être le seul ex-enfant enlevé à faire face à des accusations devant la CPI. Son statut d'ancien enfant soldat pourrait être pertinent pour sa défense légale et pour l'atténuation de la peine en cas de condamnation, même si les crimes dont il est accusé ont été commis en tant qu'adulte.
Human Rights Watch a documenté de graves abus commis par les forces armées ougandaises au cours de leur conflit armé de 25 ans avec la LRA, notamment des actes de torture, des viols, des détentions arbitraires, des exécutions extrajudiciaires et le déplacement forcé de ses citoyens dans des camps sans aucune protection et ne fournissant qu’une assistance humanitaire minimum. La CPI n'a jamais exclu les enquêtes sur les exactions commises par les forces militaires ougandaises, mais n'a jamais non plus mené de telles enquêtes. L'impunité pour les abus commis par les forces ougandaises est une préoccupation constante des habitants du nord de l'Ouganda. Des mises à jour régulières et des explications sur l'approche de la CPI à l'égard de ces abus sont nécessaires, a déclaré Human Rights Watch.
Étant donné l’ampleur des graves abus présumés commis par la LRA en dehors de l’Ouganda —notamment en République centrafricaine, en République démocratique du Congo (dans le nord et le nord-est du pays) et au Soudan du Sud — la Procureure de la CPI devrait envisager d’étendre l’enquête sur les crimes de la LRA à d’autres régions relevant de la compétence de la Cour, selon Human Rights Watch.
Le mandat de la CPI ne couvre que les crimes graves commis à partir de 2002.
« Le procès d'Ongwen couvre des crimes significatifs, mais ne s'étend pas aux horribles abus de la LRA commis en dehors de l'Ouganda », a conclu Elisa Keppler. « Il s'agit d'une véritable perte pour les victimes de la LRA en RD Congo, en République centrafricaine et au Soudan du Sud. »
Cet article a été précédemment publié par Human Rights Watch.