Mali : la Commission Vérité entend les victimes de Tombouctou

Mali : la Commission Vérité entend les victimes de Tombouctou©Photo CPI
Ahmad Al Faqi lors de sa comparution initiale le 30 septembre 2015
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Pour son premier déplacement en dehors de la capitale, Bamako, la toute nouvelle Commission Vérité Justice et Réconciliation (CVJR) du Mali a choisi Tombouctou, théâtre il y a trois ans, de destructions iconoclastes qualifiées pour la première fois, dans l'histoire de la justice pénale internationale, de crimes de guerre.

Arrivée dans « la cité aux 333 saints » le jeudi 19 novembre, cette Commission présidée par l'ancien ministre Ousmane Oumarou Sidibé, doit présenter aux autorités locales ses 15 membres et rencontrer les victimes de la crise. Au cours de son séjour d'une dizaine jours dans cette ville du nord malien, la CVJR entendra également les propositions de la population sur la manière dont elle doit mener sa mission.

Le choix de Tombouctou n'est pas le fruit du hasard.

Haut lieu spirituel, intellectuel et culturel multiséculaire, carrefour de tous les peuples sahariens (Arabes, Touaregs, Songhaï, Peuls), Tombouctou a été occupé de mai 2012 à janvier 2013 par des jihadistes, dont la présence a obligé près de la moitié de 55. 000 habitants de la ville à se réfugier dans le sud de leur pays ou en Mauritanie.

Ceux qui n'ont pas fui n'oublieront jamais ce qu'ils sont vécu dans leur chair et leur âme durant ces mois d'occupation. Les jihadistes d'Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb Islamique) et d'Ansar Dine y ont appliqué la charia islamique : amputations de membres, châtiments publics, mariages forcés, interdiction d'écouter de la musique et la radio, fermeture des écoles publiques, etc. 

Un témoin rapporte dans l'hebdomadaire français l'Express. « Les familles ont dû décrocher les antennes paraboliques qui permettaient de capter les chaînes de télévision étrangères. Les hommes sont tenus de retrousser leur pantalon au-dessus de la cheville, comme le faisaient, d'après la tradition, les compagnons du Prophète.  

Les femmes sont les premières cibles des djihadistes. Dans la rue, elles doivent porter un voile ample et couvrir leur chevelure. Elles ont interdiction de s'adresser à un homme qui n'est pas de leur famille et doivent même lui tourner le dos. Au marché, elles sont contraintes de porter des gants pour payer et recevoir leurs achats des mains d'un commerçant de sexe masculin ». 

Avec le même zèle, les occupants jihadistes s'attaquent à l'héritage multiséculaire qui constitue l'identité et la fierté de cette cité inscrite au Patrimoine mondial de l'Unesco : destructions de mausolées et monuments historiques, autodafé de manuscrits représentant un riche héritage culturel.

Pour ces intégristes musulmans, les cultes des saints inhumés dans ces mausolées sont « haram » car seul le Prophète doit être invoqué.

 

 

 Ahmad Al Faqi détenu par la CPI

 

 

 L'un des chefs jihadistes responsables de cette occupation, Ahmad Al Faqi Al Mahdi, est détenu depuis fin septembre dernier par la Cour pénale internationale (CPI), suspecté de crimes guerre. Première personne arrêtée dans le cadre de l'enquête ouverte par la CPI début 2013 sur le Mali et portant sur les exactions commises par les groupes jihadistes liés à Al-Qaïda, le chef islamiste est par ailleurs le premier suspect poursuivi par la Cour pénale internationale pour destruction d'édifices religieux et de monuments historiques.

Selon le bureau du procureur à CPI, Al Faqi, né vers 1975 à Agoune, à 100 kilomètres à l'ouest de Tombouctou, était une personnalité active dans le contexte de l'occupation de Tombouctou. Il aurait été notamment, jusqu'en septembre 2012, à la tête de la « Hesbah », « Brigade des mœurs », opérationnelle à partir de mai 2012, et également associé au travail du Tribunal Islamique de Tombouctou et aurait participé à l'exécution de ses décisions. Plus spécifiquement, il aurait été impliqué dans la destruction de plusieurs mausolées mentionnés dans l'acte d'accusation.

L'audience de confirmation des charges a été fixée provisoirement au 18 janvier 2016.

Le lendemain du transfert d'Al Faqi au centre de détention de la CPI, aux Pays-Bas, la directrice générale de l'Unesco, Irina Bokova, a insisté sur la gravité des faits reprochés au chef intégriste.  « Le patrimoine culturel du Mali appartient à toute l'humanité. Il est crucial que les criminels soient traduits en justice », a –t-elle déclaré. « C'est une question de justice pour le Mali, les identités et l'histoire de son peuple. C'est une question de justice pour toutes les femmes et les hommes partout dans le monde », a-t-elle ajouté, soulignant que ce « premier cas ouvre des perspectives nouvelles pour la protection du patrimoine et des valeurs partagés de l'humanité ».

Deux mois plus tôt, Irina Bokova avait visité à Tombouctou les huit mausolées reconstruits grâce au concours financier de son institution. « C'est un fort message de paix, de réconciliation, de respect pour la culture et le patrimoine, pour cet héritage millénaire, profond, richissime du peuple malien, qui représente aussi une richesse, pas seulement pour la Mali mais pour toute l'humanité », avait-elle déclaré au terme de sa visite, estimant que la reconstruction des mausolées de Tombouctou est une façon d'accompagner le processus de paix au Mali.