Un train de propagande, un mur, les fantômes de la guerre de 1998-99: Serbie et Kosovo sont engagés dans une inquiétante guerre des symboles et des mots, inédite depuis qu'ils dialoguent."Le Kosovo, c'est la Serbie": écrit en une vingtaine de langues, dont l'albanais, sur le flanc d'un train parti le 14 janvier de Belgrade, le slogan ne pouvait laisser Pristina sans réaction.
Le président kosovar Hashim Thaçi y a vu une "provocation délibérée" qui entrerait dans "un vieux scénario de sécession d'une partie du Kosovo", celle où vivent les quelque 100.000 Serbes de ce pays de 1,8 million d'habitants à plus de 90% albanais.
Aux yeux du chef de ce pays pro-occidental et pro-OTAN, "la Serbie compte sur l'aide de la Russie" qui ne reconnaît pas le Kosovo.
Le Premier ministre serbe Aleksandar Vucic a finalement arrêté avant la frontière ce convoi censé desservir Mitrovica (nord du Kosovo) et incarner la liberté de mouvement des populations serbes, un des points cruciaux de la normalisation engagée en 2011 entre Belgrade et Pristina.
Mais il a aussi fait monter la pression: il aurait pris cette décision pour "éviter un conflit", a accusé les autorités kosovares d'avoir voulu "provoquer un conflit de large envergure", et évoqué un minage des voies, démenti par Pristina.
- Prêts à 'envoyer l'armée' -
"Nous ne voulons pas la guerre. Mais nous enverrons même l'armée s'il fallait protéger les Serbes de possibles meurtres", a renchéri le président Tomislav Nikolic, particulièrement intransigeant sur la question du Kosovo.
S'adressant aux diplomates occidentaux dimanche, le chef de la diplomatie kosovare Enver Hoxhaj a estimé que "les actes de la Serbie envers le Kosovo démontrent" une volonté de "déclencher de nouveaux conflits".
En 2011, trois ans après la proclamation d'indépendance de l'ex-province yougoslave non reconnue par Belgrade, Serbie et Kosovo avaient pourtant engagé un dialogue qui a accouché d'avancées, comme la libération des mouvements de personnes et de biens ou la coopération policière. Mais près de vingt ans après un conflit qui a tué 13.000 personnes (1998-99), elles sont au point mort.
Les disputes s'accumulent: les Kosovars se sont indignés de l'arrestation en France le 4 janvier, à la demande de la Serbie qui veut le juger pour crimes de guerre, d'un homme qu'ils considèrent comme un héros. L'ex-haut responsable de l'Armée de libération du Kosovo (UCK), Ramush Haradinaj, ne peut rentrer au pays, bloqué en France durant l'examen de la demande des Serbes, qui peut prendre des mois.
- Préoccupation électorale -
Au quotidien, les relations se tendent: les autorités serbes de Mitrovica ont entamé l'érection d'un mur sur leur rive de la rivière Ibar qui sépare les deux communautés. Pour le maire de Mitrovica-Nord, Goran Rakic, ce mur ne revêt aucune dimension politique d'ordre sécessionniste: il s'agirait de protéger les piétons de la circulation et l'ouvrage "ne sera pas détruit". Pristina "ne décidera pas ce qui peut ou ne peut pas être construit dans cette partie (serbe) de la ville", a prévenu Goran Rakic.
"La question du mur sera réglée en conformité avec la loi", a dit le chef du gouvernement kosovar Isa Mustafa.
Aux yeux d'Aleksandar Popov, un analyste politique, ce regain de tension s'explique par le contexte politique serbe qui entre en campagne présidentielle et où la question du Kosovo reste particulièrement sensible, 18 ans après les bombardements de l'OTAN.
A ses yeux, le SNS (centre droit) au pouvoir de Nikolic et Vucic entendent devancer "la plus grande critique de l'électorat", dont une partie s'inquiète du rapprochement avec l'Union européenne et l'Occident.
Le professeur kosovar de Sciences politiques Belul Begaj relève "la tendance permanente des décideurs à Belgrade, à chaque élection, à détourner vers le Kosovo l'attention de l'électorat des problèmes internes et de leur bilan". "C'est un jeu dangereux de jouer avec un feu qui peut se retourner", met-il en garde.
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