Le Togo s’est engagé à exorciser 47 ans violences politiques, en initiant un processus de justice transitionnelle. Seulement, entre discours et affectations de moyens, le gouffre est abyssal. Le Haut-Commissariat à la Réconciliation et au Renforcement de l’Unité nationale étouffe.
A quatre mois de la fin de son mandat, le Haut-Commissariat à la Réconciliation et au Renforcement de l’Unité Nationale doit se contenter d’un petit budget de deux milliards (3 millions d’euros), sur les 35 nécessaires (54 millions d’euros). Certains analystes y voient un évident manque de volonté des autorités de ce pays d’Afrique de l’Ouest à investir dans la réparation des préjudices subis pas les citoyens, essentiellement pendant les crises politiques entre 1958 et 2005.
« Si je me rends compte que celui qui nous a mandatés (Ndlr, Faure Gnassingbé) n’a pas la volonté de nous donner les moyens de faire notre travail, je démissionne », avait menacé fin novembre 2016, la présidente du Haut-Commissariat à la Réconciliation et au Renforcement de l’Unité Nationale (Hcrrun) du Togo, Mme Awa Nana-Daboya.
Face aux hommes de médias, Mme Nana-Daboya n’a pas caché sa déception face à la situation de privation de moyens que traverse le Hcrrun depuis sa création en mai 2014. Connue surtout pour avoir démissionné en 1998, en pleine élection présidentielle, alors qu’elle présidait la Commission nationale électorale, elle a rappelé à l’opinion que, 16 ans après, elle demeure « une femme de démission ».
Le plaidoyer de l’ancien magistrat est-il passé ? Le gouvernement a fini néanmoins par ouvrir une ligne budgétaire de deux milliards de francs CFA au Haut-Commissariat pour la Réconciliation et le renforcement de l’Unité Nationale en 2017.
Sur son site, l’institution s’est bien réjouie de cette dotation du gouvernement. Elle a surtout rappelé que selon ses propres évaluations réalisées sur la base des données héritées de la Commission Vérité Justice et Réconciliation (CVJR), « l’ensemble du processus de réparation se chiffre à environ 35 milliards de FCFA ».
Avec une situation financière très étroite, la mission de réparation par les membres actuels du Hcrrun tient finalement d’une gageure. Leur mandat de trois ans expire en mai. Même si le décret de création de cette institution prévoit un renouvellement, une fois, dudit mandat, rien n’indique que trois nouvelles années suffiraient pour mobiliser assez de moyens pour investir conséquemment dans l’apaisement des cœurs des Togolais.
Patate chaude
Le processus de justice transitionnelle apparaît comme une patate chaude confiée aux différentes commissions qui se succèdent. C’est la Commission Vérité Justice et Réconciliation, présidée par l’évêque Nicodème Bénissan Barrigah qui s’est jetée à l’eau de 2009 en 2012, à la « recherche des voies et moyens susceptibles de sortir le Togo de ces cycles de violences et donner la paix du cœur aux Togolais ». Sa mise en place avait été rendu nécessaire par une grave crise politique qu’a connue le pays en 2005, à la prise de pouvoir de l’actuel président Faure Gnassingbé, et qui a engendré des violences qui ont fait plus de 500 morts, selon un rapport des Nations Unies.
A la signature, en août 2006, d’un Accord politique censé apaiser les tensions politiques dans le pays, les principaux acteurs de la vie politique togolaise se sont accordés sur la mise en place d’un processus de justice transitionnelle. Seulement, la mise en œuvre de cet accord (y compris la conduite du processus de justice transitionnelle), en elle-même, est devenue une pomme de discorde. La série de réformes préconisée se fait toujours attendre. Dans son rapport de fin de mandat, la Commission Vérité Justice et Réconciliation a réitéré en 2012 la nécessité d’aller vers les dites réformes constitutionnelles et institutionnelles. Ses recommandations restent coincées dans les tiroirs de la présidence de la République.
Confier le processus de dédommagement des victimes des violences à caractère politique de 1958 à 2005 au Hcrrun fait partie des quelques rares recommandations de la Cvjr qui ont la chance de connaître un début de mise en œuvre. Une mise en œuvre qui finalement semble souffrir du manque de volonté des premières autorités du pays à voir le processus aboutir.
La raison de ce blocage : l’essentiel des faits de violences est imputable au régime (ou à ses milices) qui dirige le pays depuis un demi-siècle et qui, pour continuer par s’imposer aux Togolais, a souvent recours des scénarios sanglants. Et comme on l’a vu dans tous les pays en transition en Afrique ou ailleurs, le processus de réconciliation au Togo n’aura de chance d’aboutir que s’il est précédé d’une l’alternance au pouvoir.