Paris l’assure, l’affaire « n’a aucune dimension politique et ne modifie pas la politique constante de la France et son soutien à la réconciliation dans la région et à la mise en œuvre du dialogue entre Belgrade et Pristina ». Et le 12 janvier, l’intéressé a été remis en liberté, dans l’attente d’une décision de la Cour d’appel de Colmar. Mais le prudent communiqué du ministère des Affaires étrangères – qui précise que la France « fut l’un des tout premiers pays à reconnaître le Kosovo en 2008 » et que son arrestation à l’aéroport de Bâle-Mulhouse procède de l’exécution « automatique » d’une demande d’Interpol – est loin de convaincre l’intéressé. « C’est un abus de droit, contre une personne ayant rempli toutes ses obligations vis-à-vis de la justice nationale et internationale », protestait avec vigueur, ce 25 janvier, Ramush Haradinaj dans un entretien accordé à l’Agence France Presse (AFP).
Deux fois acquitté par le TPIY
Douze ans plus tôt, Ramush Haradinaj a en effet joué le jeu de la justice internationale, à qui il s’est rendu cent jours après sa nomination comme Premier ministre. Le Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) l’avait inculpé pour des crimes perpétrés, principalement, dans son fief de Dukagjin, à l’Ouest de la capitale Pristina, contre des civils serbes, des roms ou des albanais considérés comme collaborateurs des Serbes. Plusieurs voix s’étaient alors opposées contre son inculpation au sein du bureau du procureur de La Haye, dirigé par Carla Del Ponte. Les preuves leur semblaient insuffisantes, avait confié notamment le procureur Geoffrey Nice, pour obtenir une condamnation. Carla Del Ponte aurait insisté : elle voulait disposer d’un levier pour obtenir l’extradition de suspects protégés par Belgrade. Jugé puis rejugé en appel, Haradinaj et ses deux co-accusés seront acquittés (deux fois) par le tribunal de La Haye.
La Serbie ne renoncera pas
En innocentant Ramush Haradinaj, en novembre 2012, la justice internationale a tranché. Mais l’histoire retiendra l’incapacité du TPIY, à quelques mois de sa fermeture annoncée (à nouveau) pour 2017, à rendre justice pour les victimes d’exactions commises contre les dizaines de milliers de Serbes et de Roms forcés à fuir durant le conflit. L’acquittement par ailleurs de l’ancien général croate Ante Gotovina, le même mois de novembre 2012, a attiré les foudres de Belgrade qui accuse le tribunal des Nations unies de parti pris. Alors aujourd’hui, la Serbie ne renoncera pas à sa demande d’extradition, ont annoncé d’une même voix ses ministres de la Justice et des Affaires étrangères. « Nous croyons que l’Union européenne a des principes et que la poursuite des crimes de guerre en est un », a souligné ce dernier, en exprimant sa « confiance que la France adhère à de telles valeurs ».
Poursuivi pour de nouveaux faits
Selon sa ministre de la Justice, Nela Kuburovic, la Serbie ne demande pas à juger Ramush Haradinaj pour les mêmes crimes pour lesquels il a été acquitté à La Haye. Alors que le TPIY l’a jugé pour des crimes commis entre mars et septembre 1998, elle souligne que l’acte d’accusation lancé contre lui couvre ici des crimes supposés commis en 1999. Le procureur spécial de Serbie pour les crimes de guerre aurait dit-elle poursuivi l’enquête, collecté de nouvelles preuves et rassemblé une trentaine de témoignages contre M. Haradinaj. Des précisions apportées le 13 janvier lors d’une conférence de presse, rapporte sur son site la radio privée serbe B92. Une autre difficulté pour la cour française, que la ministre ne précise pas, réside dans le fait que Belgrade ne reconnait pas le Kosovo, et considère Ramush Haradinaj comme l’un de ses ressortissants, tandis que Paris le considère comme un citoyen kosovar, et souligne qu’il bénéficie de la protection consulaire du Kosovo.
Tribunal spécial pour le Kosovo
En toile de fond la création annoncée pour cette année, à La Haye, d’un tribunal spécial pour les crimes de guerre commis au Kosovo, arraché au forceps par la pression diplomatique conjointe des Etats-Unis et de l’Union européenne. Il est perçu comme une « humiliation et une injustice » par l’actuel Premier ministre du Kosovo, Hashim Thaci. Ce dernier avait été pointé comme un leader de groupe criminel – procédant entre autres à des trafics d’organes –dans un rapport préliminaire à la création du tribunal spécial, rédigé par un ancien procureur suisse, Dick Marty. Si Thaci n’est pas accusé dans un premier temps, celui-ci pourrait l’être à moyen ou long terme. Opposant à Thaci, Haradinaj pourrait en tirer avantage. Ce dernier estime d’ailleurs que Pristina ne se démène pas pour le sortir des griffes de Belgrade. « C’est vraiment dommage que Pristina conserve une position si servile » a-t-il lâché mercredi à l’AFP.
« Un test pour l’Europe »
L’histoire dira peut-être un jour pourquoi un fonctionnaire zélé de l’aéroport de Mulhouse a jugé utile d’exécuter un mandat d’arrêt Interpol émis par la Serbie… en 2004. Ces derniers jours, la tension est montée d’un cran entre les deux anciens ennemis qui mènent des pourparlers sous l’égide de l’Union européenne, depuis 2011, pour tenter de « normaliser » leurs relations. Des Albanais ont manifesté à l’intérieur et à l’extérieur du Kosovo. Un train de passagers frappé du slogan « Le Kosovo est Serbe » en partance de Serbie vers le Kosovo a jeté de l’huile sur le feu. Bruxelles a dû convoquer une réunion urgente cette semaine, entre les leaders des deux pays. Une chose paraît sûre : quelle que soit la décision de la Cour d’appel de Colmar, qui doit intervenir dans les quarante jours après la notification de la demande d’extradition à M. Haradinaj, il s’agit et il s’agira d’un casse-tête diplomatique. Pour le ministre des Affaires étrangères Ivica Dacic, il s’agirait même d’un « test pour l’Europe ».