L'enquête du Pentagone sur un raid américain ayant touché un hôpital afghan de MSF a révélé de telles "imprudences" que des observateurs se demandent si les militaires n'ont pas ignoré tout réglement dans leur détermination forcenée à venir à bout des talibans.
Le raid qui a fait 30 morts le 3 octobre a été causé "avant tout par l'erreur humaine", aggravée par "des défaillances techniques et manquements à la procédure", a reconnu le général américain John Campbell, patron des forces de l'Otan en Afghanistan.
Rendant publiques les conclusions de l'enquête américaine il y a quelques jours, il a rappelé que le bombardement était intervenu en pleine résurgence de l'insurrection islamiste, qui avait brièvement conquis la ville stratégique de Kunduz (nord), leur plus importante victoire depuis 2001.
Mais le général Campbell a détaillé, pour expliquer les tirs d'un AC-130 sur un hôpital de Médecins sans frontières, une série d'erreurs allant à l'encontre de précautions intégrées "de longue date dans les procédures habituelles", souligne Kate Clark, de l'Afghanistan Analysts Network.
"On se pose toujours la question de savoir si le non-respect de ces procédures était intentionnel", a-t-elle écrit, soulignant le besoin d'une enquête internationale indépendante sur ce raid, qui pour certains constituerait un crime de guerre.
Des analystes soulignent que le rapport passe notamment sous silence les agissements de l'armée afghane tout au long du raid -- et que certaines des pannes évoquées dépassent l'entendement.
- Récit incomplet -
Parmi les éléments évoqués par le général qui intriguent les analystes, le fait que le système de localisation des cibles à bord du AC-130 avait perdu de sa précision après que l'avion a dû modifier son itinéraire par peur d'une attaque de missile.
Cela a obligé l'équipage à identifier la cible visuellement, en cherchant "le grand bâtiment le plus proche" du point désigné par les instruments de localisation désorientés.
Pour Michael Koffman, expert militaire au Wilson Center à Washington, cette affirmation est incompréhensible, car il aurait suffit que l'équipage effectue quelques réglages simples pour remédier à la situation.
"Ils n'ont pas ajusté les manettes", selon lui.
Et difficile de croire pour Mme Clark que l'équipage ait tiré sans savoir qu'ils ciblaient l'hôpital, car il s'agit d'un "bâtiment très reconnaissable (...) le seul éclairé la nuit dans une ville sans électricité".
Le général Campbell a évoqué la "confusion régnant au quartier général américain à Bagram, où les officiers n'ont pas réalisé que l'avion s'apprêtait à bombarder un hôpital, d'autant qu'une défaillance a empêché l'avion d'émettre des vidéos et communiquer par éléctronique.
Mais M. Koffman estime que cela ne justifie pas les erreurs, déplorant que les équipages soient trop dépendants de la technologie.
Et le fait que, du propre aveu du général, la hiérarchie militaire n'ait pas pris la peine de vérifier que le raid ne visait pas un site protégé relève d'un problème systémique "qui va bien au-delà des personnels directement impliqués dans l'opération", estime Mme Clark.
Les erreurs sont "d'une nature bien plus sérieuse que ce que veut nous faire croire Campbell", souligne-t-elle.
- Yeux sur la cible -
L'analyste militaire J. Chacko, basé à Londres, relève pour sa part l'importance des omissions du résumé d'enquête -- qui doit être suivi d'un rapport de 3.000 pages publié une fois qu'il sera expurgé.
Selon ce résumé, il a fallu près d'une demi-heure à l'armée américaine pour réaliser son erreur.
"Que s'est-il passé pendant les 29 minutes de l'attaque?" s'interroge M. Chacko, soulignant que le résumé n'évoque à aucun moment les enregistrements audio ou vidéo.
L'armée afghane "devait avoir les yeux sur la cible", souligne-t-il, mais le rapport est "particulièrement discret" sur ce que faisaient les Afghans pendant le raid.
Il est possible, selon un spécialiste de la sécurité régionale s'exprimant sous couvert d'anonymat, que les forces afghanes ne se soient pas empressées de signaler l'erreur aux militaires américains car "elles croyaient, à tort ou à raison, qu'il y avait des talibans à l'intérieur (de l'hôpital) et qu'il fallait s'en débarrasser".
Le rapport de MSF souligne que durant le raid -- qui a duré une heure et non une demi-heure selon l'ONG -- des patients ont été brûlés vifs dans leur lit, d'autres décapités ou amputés, tandis que des témoins rapportent que l'avion a tiré sur ceux qui fuyaient les lieux.
Médecins sans frontière ne cesse depuis de réclamer une enquête indépendante.
"Il semblerait que le 3 octobre, on a simplement jeté le règlement au feu", écrit Mme Clark.
Et même si le général américain a promis que ceux qui sont impliqués dans la frappe avaient été suspendus dans l'attente d'une décision de la justice militaire, "il n'est pas surprenant que les appels à une enquête indépendante se poursuivent", souligne-t-elle.