L’ancien chef de milice Bernard Munyagishari, deuxième accusé à avoir été renvoyé à Kigali par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), sera fixé sur son sort le 20 avril prochain. Cette date a été annoncée par la Haute cour à Kigali, le mardi 21 février, au terme de l’audition des arguments oraux des parties. Le procureur a requis la prison à vie tandis que la défense a demandé l’acquittement. Accusé de crimes de génocide et de crimes contre l’humanité, Munyagishari, qui boycottait le procès depuis près d’un an, n’était pas à l’audience.
Selon l’acte d’accusation, Munyagishari était, en 1994, secrétaire général du parti présidentiel de l’époque, le Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement (MRND) pour la commune de Rubavu – qui abritait le chef-lieu de la préfecture de Gisenyi- et président de l’aile jeunesse du parti, les fameux Interahamwe, pour toute la préfecture.
Né en 1959, il a été transféré au Rwanda le 24 juillet 2013 au terme d’une longue bataille judiciaire contre son renvoi. Munyagishari avait été arrêté en 2011 en République démocratique du Congo (RDC), six ans après avoir été inculpé par le TPIR d’entente en vue de commettre le génocide, génocide, complicité de génocide, assassinats et viols constitutif de crime contre l’humanité.
Après plusieurs reports, dus essentiellement aux requêtes de la défense, le procureur n’a pu citer son premier témoin que début mai 2016.
Extrême cruauté
Au dernier jour du procès, le mardi 21 février 2017, l’accusation a demandé au tribunal de déclarer Bernard Munyagishari coupable de tous les crimes pour lesquels il est poursuivi et de le condamner à la peine maximale, rapportent les médias rwandais. Les faits reprochés à Munyagishari se sont déroulés en 1994 en différents endroits de la préfecture de Gisenyi (nord-ouest du Rwanda), notamment à l’Institut Saint – Fidèle, à l’Evêché catholique de Nyundo et à l’endroit connu pendant le génocide sous le nom de « Commune rouge ». Dans ses réquisitions, le procureur Bonaventure Ruberwa a énuméré les crimes : participation à des réunions de préparation du génocide, distributions d’armes aux tueurs, participation directe à des attaques contre des Tutsis, interception à des barrages routiers de Tutsis ensuite remis aux mains de tueurs, viols,…
Le procureur a accusé Munyagishari d'avoir, en personne, tué certains Tutsis. Pour Bonaventure Ruberwa, il ne saurait y avoir de circonstances atténuantes pour l’accusé, étant donné l’extrême cruauté avec laquelle les crimes ont été commis. Pire encore, a poursuivi le magistrat rwandais, Munyagishari n’a jamais exprimé le moindre remords et n’a pas coopéré avec le tribunal, préférant in fine boycotter le procès.
Tissu de contradictions
Dans leurs plaidoiries, Maîtres Jeanne d’Arc Umutesi et Bruce Bikotwa, qui représentaient l’accusé, se sont attaqués à l’ensemble des moyens de preuve de l’accusation, les qualifiant de pur tissu de contradictions. Selon Me Umutesi, non seulement les témoins à charge se sont contredits entre eux, mais ils ont aussi donné à l’audience des versions différentes de celles qu’ils avaient présentées lors de leurs déclarations antérieures aux enquêteurs de l’accusation. Ces contradictions profitent au prévenu, a conclu l’avocate rwandaise, avant de demander l’acquittement de son client. Un client qui leur donne du fil à retordre à elle et à son confrère Bikotwa, car il ne les reconnaît pas et refuse même de leur parler.
Maîtres Umutesi et Bikotwa ont été commis d’office après le retrait de leurs confrères John Hakizimana et Jean - Baptiste Niyibizi, qui n’arrivaient pas à trouver un compromis avec le ministère de la Justice sur le montant de leurs honoraires dans le cadre de l’aide légale. Dénonçant un contrat « très dérisoire », ils ont claqué la porte au début de l’année 2016, suivis de l’accusé. Débouté par la Cour suprême qui a confirmé la commission d’office des deux nouveaux avocats, Munyagishari n’est plus revenu à l’audience.
« Je ne comprends pas le kinyarwanda »
L’accusé avait donné le ton dès sa remise au gouvernement rwandais dans la soirée du 24 juillet 2013 à l’aéroport international de Kigali. « Je ne comprends pas ce que vous dites. Je ne comprends pas le kinyarwanda », avait-t-il lancé aux autorités rwandaises qui lui posaient leurs toutes premières questions. Lors de sa première comparution devant un juge, quelques jours plus tard, il avait de nouveau affirmé ne pas comprendre le kinyarwanda, ajoutant, en prime, qu’il n’était ni Hutu ni Tutsi, mais citoyen de la République démocratique du Congo (RDC). « Munyagishari comprend le kinyarwanda. Il est né au Rwanda, a étudié au Rwanda, a travaillé au Rwanda et a eu d’ailleurs à comparaître et témoigner en kinyarwanda devant un tribunal rwandais », avait réagi le procureur Ndibwami Rugambwa. Le représentant du ministère public avait sorti un jugement de 1982 devant la Cour d’appel de Ruhengeri (nord du Rwanda) dans lequel Munyagishari, alors accusé de viol, s’était défendu en langue rwandaise. Après avoir entendu ces arguments, la chambre avait décidé de tenir le procès en kinyarwanda, langue nationale mais aussi langue officielle au Rwanda, avec le français et l’anglais.
Munyagishari est le deuxième accusé du TPIR transféré au Rwanda après le pasteur pentecôtiste Jean Uwinkindi, qui attend son jugement d’appel après avoir été condamné à la perpétuité en première instance.
Le procès de l’ancien maire Ladislas Ntaganzwa, troisième accusé du TPIR renvoyé à Kigali, en est encore au stade de la mise en état. Le TPIR, qui était basé à Arusha, dans le nord de la Tanzanie, a fermé ses portes fin 2015. Ses fonctions résiduelles sont assurées par le Mécanisme des Nations unies pour les Tribunaux pénaux internationaux (MTPI).