La justice sud-africaine a estimé le mercredi 22 février que la notice de retrait de la Cour pénale internationale (CPI) envoyée à l’ONU en octobre dernier par le gouvernement de Pretoria est "inconstitutionnelle". L’Afrique du Sud avait entamé cette procédure de retrait suite à la polémique suscitée par son refus d’arrêter sur son sol le président soudanais Omar el-Béchir sous le coup de deux mandats d’arrêt de la CPI pour crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis dans la région troublée du Darfour. Pretoria faisait valoir que le chef de l’Etat soudanais était protégé par son immunité diplomatique. Quelle est alors la signification de cette décision de la Haute cour de Pretoria pour l’Afrique du Sud, l’Union africaine et la CPI? JusticeInfo a interrogé Hugo van der Merwe, Directeur de la recherche au Centre for the Study of Violence and Reconciliation (CSVR) du Cap.
Quelle est votre réaction à la décision de la Haute Cour à Pretoria?
Van der Merwe: D’abord, la décision est la bienvenue. Le CSVR soutient l’adhésion sud-africaine à la CPI et estime que le rôle de l’Afrique du Sud sur le continent est potentiellement promoteur des droits de l’homme. Et le processus de retrait a porté un coup à ce rôle. Je pense que cette décision est probablement juste une entrave temporaire à la procédure de retrait. C’est plus une décision technique pour dire que le gouvernement a suivi une procédure incorrecte. Ce qui veut dire que le gouvernement doit maintenant suivre la procédure parlementaire de changement de législation. Cela au moins ouvre l’espace pour une plus grande participation du public et de la société civile au débat sur le retrait.
Quel est le fondement juridique de la décision? La Cour a conclu que la démarche était inconstitutionnelle...
C’est inconstitutionnel parce que, selon la loi, l’exécutif n’ a pas la compétence de retrait de traités internationaux. Ils ont usurpé un pouvoir dévolu à l’organe législatif. Ce n’est pas juste le rôle d’une autre branche du gouvernement, c’est une procédure impliquant une plus large participation publique. La Cour n’a nullement dit que le gouvernement ne peut pas poursuivre la procédure de retrait. Il semble maintenant que le processus est juste retardé pour donner la place à une participation publique qui, nous l’espérons, pourrait faire fléchir le gouvernement.
Avez-vous le sentiment que l’opinion publique sud-africaine soutienne le retrait de la CPI?
Le public n’a pas été très impliqué dans ce débat, et je pense que c’est un sujet qui est facilement manipulable, en ce qui concerne la politique de la Cour (CPI). La Cour a donné aux Chefs d’Etat en Afrique assez d’arguments pour l’accuser d’être raciste et influencée par l’Occident. Il est ainsi possible que ce soit un débat prosaïque. Il est cependant significatif que les deux principaux partis de l’opposition - la plutôt conservatrice Alliance Démocratique et le Front pour la liberté économique- se soient opposés au retrait. Et je pense que tous les autres partis représentés au Parlement pourraient remettre en cause la position du gouvernement, donc le gouvernement sera confronté à une procédure politique coriace.
La Cour a ordonné au gouvernement d' "annuler immédiatement la notice de retrait". Pensez-vous que le gouvernement puisse exécuter cette disposition du jugement?
Il va très probablement faire appel du jugement devant la Cour constitutionnelle. Je pense que ce serait plutôt une embarrassante reculade pour le gouvernement, aussi va-t-il probablement épuiser toutes les voies légales avant de retirer cette notice. Ca va ainsi probablement prendre beaucoup de temps.
Quelles pourraient être les retombées politiques de la décision de cette cour sud-africaine pour le reste de l’Afrique, l’Union africaine et la CPI?
Nous savons que l’Union africaine a recommandé "un retrait en masse", mais, en réalité, l’approche de l’UA vise à remettre la Cour en question et à obtenir des réformes au sein de la CPI, et il semble que beaucoup de pays brandissent cette menace de retrait comme un outil dans les négociations en vue d’obtenir des réformes. Et ce sont ces réformes que la société civile soutient en général. Nous espérons ainsi que les débats aboutissent à un accord plus clair sur la nature de ces réformes, plutôt qu’un débat polarisé entre ceux qui soutiennent la CPI et ceux qui lui sont hostiles parce que nous reconnaissons tous globalement que la CPI souffre de graves imperfections; elle a besoin d’être réformée mais elle demeure un élément essentiel de la protection des droits humains pour les victimes, et nous n’avons pas d’alternative. Les alternatives proposées par l’Union africaine, telles que la Cour africaine, sont encore très loin de se matérialiser.
L’Alliance démocratique a déclaré que " l’Afrique du Sud ne veut pas faire partie des Etats parias n’ayant aucun respect pour les droits de l’homme". Effectivement, si vous regardez la situation dans les autres pays qui ont entamé le processus de retrait - le Burundi et la Gambie sous Yahya Jammeh, même si son successeur est revenu sur la décision-, l’Afrique du Sud n’est pas en bonne compagnie....
Oui, à l’instar de tous ceux qui attaquent la CPI, comme les Philippines et la Russie. L’Afrique du Sud a choisi très clairement les pays africains comme sa principale audience et le principal réseau auquel il veut s’aligner. D’autres pays africains partagent le même souci que l’Afrique du Sud concernant la focalisation disproportionnée de la Cour sur l’Afrique. Et je pense que la plus grande inquiétude serait que l’Afrique du Sud se range du côté de pays comme les Etats-Unis qui n’ont jamais signé (le Traité de Rome) et sont allés loin pour protéger leurs citoyens de toute forme de justice dans le cadre de la CPI.
Alors, en conclusion, que va-t-il se passer, d’après vous?
Je pense que l’Afrique du Sud voulait se positionner comme le champion de tête du retrait africain, mais peut-être aussi comme le principal négociateur des réformes au sein de la CPI. Et je crois que cette décision judicaire a compromis cette ambition. L’Afrique du Sud s’est elle-même mise dans une situation embarrassante s'agissant de sa capacité juridique à gérer ce processus, et ainsi donc, je pense qu’elle a probablement mis les pieds dans les roues de sa capacité à servir de leader d’une procédure au sein de l’UA et à influencer d’autres pays africains. Je pense donc que cela ralentira ou incitera à la prudence d’autres pays, qui se demanderont si l’Afrique du Sud va foncer malgré les obstacles juridiques et politiques. Ainsi donc, c’est un petit soulagement en ce qui concerne la dynamique, qui n’est plus aussi forte pour amener d’ autres pays à suivre l’exemple de l’Afrique du Sud.