L’Ukraine et la Russie s’affrontent cette semaine devant la Cour internationale de Justice (CIJ) à La Haye. Kiev accuse Moscou d’avoir violé deux Conventions internationales, celle sur le financement du terrorisme et l’autre sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Elle demande des mesures d’urgence.
Pour l’Ukraine, il y a urgence. Avant de se prononcer sur le fond, une procédure qui pourrait prendre plusieurs années, Kiev demande à cette Cour de l’Onu d’ordonner à Moscou de cesser dès aujourd’hui son soutien aux séparatistes de l’Est de l’Ukraine et de ne plus bafouer les droits des Tatars de Crimée. « Tout ce que nous cherchons est un retour à la stabilité et au calme », a déclaré la ministre adjointe des Affaires étrangères d’Ukraine, Olena Zerkal, qualifiant la situation actuelle de « dangereuse et imprévisible ». Après les manifestations ayant conduit à la chute du régime de Viktor Ianoukovitch en février 2014, une insurrection armée, dirigée contre le nouveau gouvernement ukrainien, émergeait dans l’Est de l’Ukraine. Les séparatistes, soutenus par la Russie, proclamaient les républiques de Donetsk et de Lougansk, entrainant l’intervention de l’armée ukrainienne. « La Russie met en œuvre sa politique étrangère sans égard pour la vie humaine, et utilise tous les outils pour imposer sa volonté » a dénoncé à La Haye Olena Zerkal. Ses « tactiques comprennent le soutien au terrorisme et aux actes de discrimination raciale, ainsi que la propagande, la subversion, l’intimidation, la corruption politique et les cyber-attaques. » Pour Harold Koh, avocat de l’Ukraine et qui fut aussi le responsable juridique du département d’Etat américain des années Obama, « la Russie essaie depuis des années de prendre le contrôle de ses voisins ». Aux seize juges siégeant face à lui, il assure qu’ « à l’heure où je vous parle, la Russie est en train de mener une opération massive d’approvisionnements de fonds, d’armes et de soutien à des groupes illicites ».
Une entreprise de stigmatisation
Pour la partie russe, l’offensive ukrainienne devant la Cour vise à « stigmatiser une partie importante de la population ukrainienne », et « qualifier la Russie de terroriste et persécutrice ». Chef du département juridique des Affaires étrangères russe, Roman Kolodkin revient sur l’histoire de la dernière révolution ukrainienne, dénonçant une opposition qui demandait de choisir entre l’Europe et la Russie, « un choix fallacieux qui a divisé le pays » et conduit à la mise en place d’ « un gouvernement de vainqueurs », proférant un « message antirusse ». Dans l’Est, argue-t-il, « face à la haine antirusse, ils ont demandé l’autonomie ». A demi-mot, il reproche à l’Ukraine de ne pas vouloir « une solution pacifique » telle que prévue par les accords de Minsk. La Russie conteste surtout la compétence de la Cour, affirmant que la Convention sur le financement du terrorisme n’a pas été violée. Et qu’elle ne s’applique pas au seul motif « qu’un Etat a décidé de qualifier certains groupes de terroristes », souligne Ilia Rogatchev, du ministère des Affaires étrangères. Il ajoute qu’il aurait fallu que le soutien supposé de Moscou ait été fait en connaissance de cause, dans l’intention d’actes terroristes. Le fonctionnaire estime, citant le CICR, que « qualifier de terroristes pourrait avoir des conséquences graves », être « un obstacle à des négociations de paix ». Alors que les séparatistes de Lougansk et Donetsk ont signé les accords de Minsk, la Russie demande à la Cour si dès lors, l’Ukraine a signé aux cotés de groupes terroristes.
Des violations du droit humanitaire de chaque coté
Mais pour l’Ukraine, « la Russie sait pertinemment que ses amis commettent des actes de discrimination ». Pour prouver l’implication russe, l’Ukraine s’appuie sur des rapports, des photos, dont une vue satellite de l’Otan, montrant l’évolution des positions russes installées à la frontière ukrainienne. Pour la Russie, le conflit est « tragique », et « a conduit à de nombreuses victimes civiles ». Ilia Rogatchev évoque « des violations du droit humanitaire de part et d’autre ». Sur les armes qu’elle est accusée de fournir, la Russie assure qu’elles viennent « des arsenaux hérités par l’Ukraine de l’armée soviétique en 1991, qui servaient auparavant à tenir à distance l’Otan toute entière ». Entreposées dans le Donbass, elles sont tombées aux mains des rebelles. Mais pour l’Ukraine, s’il y a urgence, c’est aussi que des lance-missiles, comme celui qui a permis d’abattre le MH17, pourrait entrer de nouveau en action. L’avion de ligne, au départ d’Amsterdam et à destination de Kuala Lumpur, avait été abattu au-dessus du Donbass, le 17 juillet 2014, faisant 298 morts de treize nationalités différentes, qu’égrène face la Cour Harold Koh avant de qualifier l’évènement d’ « attaque contre l’humanité », puis de rappeler que Moscou a opposé son véto à une proposition de création d’un tribunal international pour juger les auteurs de l’attaque. Une enquête conjointe, dirigée par les néerlandais ; qui comptent la perte du plus grand nombre de ressortissants ; est actuellement en cours. Selon ses premières conclusions, l’avion aurait été abattu par un missile BUK de fabrication russe, et convoyé dans le Donbass depuis la Russie. Sur le MH17, Moscou marche sur des œufs, car l’enquête pénale est toujours en cours. Dans l’un de leur rapport, les enquêteurs ont interceptés des écoutes, dans lesquelles les séparatistes disaient avoir de faibles moyens anti-aériens et avoir besoin de lance-missiles, tandis que la Russie assure que le lance-missile utilisé pour abattre l’avion faisait déjà parti de l’arsenal séparatiste. « Si on doit prendre en compte ces preuves, dit M. Rogatchev, il est évident qu’on ne peut prouver qu’il y avait intention de financer un acte intentionnel contre un avion civil », affirme le fonctionnaire russe.
Les Tatars discriminés
Sur la Crimée, retournée dans le giron de Moscou depuis la déclaration d’indépendance prise par le parlement de la presqu’ile, suite à un référendum, le 17 février 2014, Harold Koh « ne demande pas à la Cour de confirmer la souveraineté de l’Ukraine », puisque « la communauté internationale l’a déjà fait » à travers plusieurs résolutions. Mais il demande que Moscou cesse les discriminations, notamment envers la minorité Tatar. « Certains d’entre eux ont disparu, ont été enlevés, les élus représentants les Tatars de Crimée ont été exilés ». Las, pour l’avocat, ils ont déjà subi « des exils de masse du régime stalinien » en 1941. Mais leur culture est en danger, assure l’Ukraine. La Russie n’a jamais été dénoncée pour avoir bafoué ses minorités, rétorquent ses avocats au second jour des audiences, passant ensuite en revue des données statistiques affirmant que les tatars sont présents au sein de la justice, de l’éducation, dans toutes les institutions de l’Etat et n’ont pas fui la péninsule en masse. Pour les Russes, jusqu’à février 2014, la minorité a toujours été discriminée, même depuis l’indépendance de l’Ukraine. Russie et Ukraine peaufineront leur dossier face à la Cour jusqu’au 9 mars, après quoi les juges se retireront pour délibérer. La décision pourrait prendre plusieurs semaines.