Pour nombre de ses admirateurs, Simone Gbagbo, dont le procès a repris en son absence mardi devant la Cour d’assises d’Abidjan-Plateau, reste « la dame de fer », même derrière les barreaux. Mais pour ses détracteurs, c’est « la dame de sang ». Condamnée à 20 ans de prison en 2015 pour atteinte à la sûreté de l’Etat, actuellement en procès pour crimes contre l'humanité, l’épouse de l’ex- président Laurent Gbagbo est incontestablement l’une des plus grandes figures féminines de l’histoire contemporaine de la Côte d’Ivoire. Bien que très visiblement marquée par la prison, cette fervente évangélique, aujourd’hui âgée de 67 ans, refuse de baisser le bras. A l’instar de son époux, actuellement en procès devant la Cour pénale internationale (CPI), à La Haye, cette femme de poigne ne laisse pas échapper la moindre occasion de réitérer, devant les assises ivoiriennes, sa détermination à se battre contre « le colonisateur » français, responsable, selon elle, de la chute de son mari.
La jeune Simone Ehivet se met d’abord remarquer comme syndicaliste. Après ses études universitaires de Linguistique africaine et Lettres modernes, elle se tourne vers le combat politique. C’est sur ce front qu’elle fera connaissance, dans les années 1970, de Laurent Gbagbo. En 1982, elle participe aux côtés de son futur époux, à la fondation du Front populaire ivoirien (FPI). Peu après la naissance du FPI, qui opère alors dans la clandestinité, Laurent Gbagbo s’exile en France. Revenu en Côte d’Ivoire, il s’unit pour la vie à Simone, lors d’un mariage sans tambour ni trompettes en 1989 à Abidjan. C’est plus qu’une union matrimoniale. Désormais, les Gbagbo se battront côte-à-côte contre le régime du président Félix Houphouët - Boigny. Ainsi, quand Laurent Gbagbo se lance dans la course à la présidence en 1990, sa compagne le soutient très activement. Après leur défaite électorale, ils portent leur combat sur le front des manifestations, ce qui leur vaudra d’être arrêtés en février 1992 avant d’être libérés six mois plu tard.
En 1995, Laurent Gbagbo boycotte l’élection présidentielle mais son épouse est élue députée à l’Assemblée nationale, dont elle devient vice-présidente.
Ce n’est cependant qu’en 2000 que le plus grand rêve du couple devient réalité. Au terme d’une longue campagne électorale, Laurent Gbagbo est élu président de Côte d’Ivoire. Celle qui l’a soutenu durant ce long combat se retrouvera désormais au cœur des principales décisions de son pays. Elle ne rougira d’ailleurs pas de confier plus tard à l’Express : «Tous les ministres ont du respect pour moi. Et on me situe souvent au-dessus d'eux ».
La descente aux enfers
Est-ce donc elle qui a conseillé à celui dont elle partageait la vie et les honneurs de reporter plusieurs fois l’élection présidentielle qui était prévue en 2005 ? Ce scrutin aura finalement lieu fin 2010. Le dirigeant du FPI affronte le président du Rassemblement des Républicains (RDR) Alassane Ouattara, un économiste qui a surtout fait ses preuves dans les plus grandes institutions monétaires internationales. Le 4 décembre, chacun des deux candidats se déclare président et prête serment.
Commence alors la descente aux enfers pour le couple présidentiel. Encerclés par les forces pro-Ouattara, Simone et Laurent Gbagbo seront arrêtés à Abidjan le 11 avril 2011. Fin novembre, le mari, réclamé par la Cour pénale internationale (CPI), est transféré à La Haye. Le 29 février 2012, la même Cour émet un mandat d’arrêt à l’encontre Simone Gbagbo, qui ne sera rendu public qu’en novembre de la même année. La procureure de la CPI, la Gambienne Fatou Bensouda, veut faire juger l’épouse de Gbagbo pour crimes contre l’humanité, dont meurtres, viols, persécution et autres actes inhumains. Comme dans le cas de son mari, il s’agit de crimes commis en Côte d’Ivoire entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011. Au cours des violences suivant le scrutin présidentiel, au terme duquel Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo s’étaient déclarés vainqueurs, les forces pro-Gbagbo « ont pris pour cible des civils qu’elles pensaient être des partisans d’Alassane Ouattara », indique le mandat d’arrêt. Simone Gbagbo, « qui était idéologiquement et professionnellement très proche de son mari a participé à la mise en œuvre d’un plan devant permettre le maintien au pouvoir de son époux », lit-on dans ce texte. « Bien que n’étant pas élue, elle se comportait en alter ego de son mari, en exerçant le pouvoir de prendre des décisions d’Etat », poursuit le mandat d’arrêt. Le texte souligne, en outre, qu’elle a « donné aux forces pro-Gbagbo l’instruction de commettre des crimes contre des personnes représentant une menace pour le pouvoir de son mari ».
Mais en dépit des demandes répétées de la CPI, la Côte d’Ivoire du président Ouattara refuse de transférer Simone Gbagbo, affirmant avoir la capacité et la volonté de lui garantir un procès équitable, pour les mêmes faits visés dans l'enquête de la Cour internationale. L’argumentaire n’a jamais convaincu la CPI, qui n’y peut cependant rien.
« L’agression du pays a été mondiale »
Jugée dans un premier procès en assises à Abidjan, Simone Gbagbo sera condamnée à 20 ans de prison le 10 mars 2015 après avoir été reconnue coupable d’atteinte à la sûreté de l’Etat pour son rôle dans la crise causée par le refus de son mari d’accepter la victoire électorale de son adversaire Alassane Ouattara. Le jugement sera définitif après le rejet, le 26 mai 2016, de son pourvoi en cassation.
Mais les ennuis judiciaires ne s’arrêtent pas là. Depuis le 30 mai 2016, celle qui affirme ne croire qu’en la Justice du Ciel, comparaît à nouveau devant les assises, cette fois-ci pour crimes contre l’humanité. Comme dans le premier procès, les faits remontent à la crise 2010-2011, une crise dont elle rejette la responsabilité aux « démons », autrement dit les opposants à son cher Laurent qui, selon elle, avait été choisi par Dieu pour diriger la Côte d’Ivoire.
A l’audience du 2 juin 2016, lorsque le juge tente de savoir pourquoi elle et son mari ont refusé de se retirer fin 2010 pour donner une chance à la paix, l’ancienne députée retrouve sa verve politique et se lâche. « Le choix d’abandonner et fuir aurait été plus grave quand on nous bombardait. Je n’aurais pas laissé ma nation entre les mains de la France et de ses alliés », déclare l’accusée, qui ne se fait point d’illusion sur l’issue de ce second procès. « Tant que je vis, je vais continuer à me battre contre le colonisateur. Mais, si je meurs, les Ivoiriens vont continuer de se battre », clame encore l’ex-Première dame, devant une cour d’assises aussitôt transformée en tribune politique. « L’agression du pays a été mondiale. Le monde entier s’est ligué contre la Côte d’Ivoire », ajoute-t-elle, faisant allusion à l’intervention en avril 2011 des troupes onusiennes et de la force Licorne de l’armée française.
La justice ivoirienne et la CPI ne poursuivent à ce jour que des pro-Gbagbo alors que les pro-Ouattara ont également commis, durant la crise, des crimes bien documentés par des ONG indépendantes.