Le génocide de leurs ancêtres par les autorités coloniales allemandes date d'il y a plus de 110 ans. Mais les tribus Nama et Héréro, originaires de Namibie, ont repris espoir d'obtenir réparation après la relance jeudi par une juge fédérale new-yorkaise d'une plainte déposée contre Berlin et restée jusqu'ici sans suite.
En fixant la prochaine audience au 21 juillet, la juge Laura Taylor Swain a accordé une première victoire à la quinzaine de représentants des deux tribus venus spécialement à New York depuis la Namibie, le Canada ou le centre des Etats-Unis, parfois en costumes traditionnels hérités de l'ère coloniale.
L'Allemagne dispose donc de quatre mois pour répondre à leur demande de réparation pour les "dommages incalculables" subis par les deux peuples, déposée le 5 janvier à New York.
"Quand je l'ai entendue dire que l'audience aurait lieu, c'est le plus grand succès que nous ayons enregistré. C'est le signe que nous sommes vainqueurs", s'est réjouie Ida Hoffmann, représentante de la tribu Nama et députée namibienne venue assister à cette première audience.
Ce génocide, le premier du XXe siècle, remonte à l'époque où la Namibie s'appelait encore Afrique allemande du Sud-Ouest (1884-1915). L'Allemagne a mené une guerre "raciale" contre les Héréros et les Namas, qui culmina en 1904.
Dépossédés de leurs terres, de leur bétail et de tout moyen de subsistance et mis sous pression par l'administration coloniale, les Héréros se sont révoltés le 12 janvier 1904, massacrant 123 civils allemands.
Après la sanglante bataille de Waterberg en août suivant, quelque 80.000 Héréros ont fui vers le Botswana voisin mais ils ont été poursuivis par les troupes allemandes. Seuls 15.000 survivront. Puis, en octobre 1904, le commandant militaire de la colonie, le général Lothar von Trotha a ordonné l'extermination des Héréros.
Les Namas a connu un sort similaire: quelque 10.000 d'entre eux --environ 50% de la tribu-- ont été tués en essayant de se rebeller entre 1903 et 1908.
Dépossession, viols, camps de concentration, expériences scientifiques sur des "spécimens" d'une race jugée inférieure, extermination: les ingrédients des grands génocides du XXe siècle étaient déjà réunis.
Au point que le chef Héréro Vekuii Rukoro, 62 ans et venu spécialement de Namibie, a déclaré jeudi que "ce qui est arrivé aux Juifs (pendant l'Holocauste) n'était que le perfectionnement de ce qui (nous) est arrivé".
- Reconnaissance informelle -
Si l'Allemagne a mis longtemps à reconnaître la gravité des faits, plusieurs de ses représentants utilisent désormais eux aussi le terme de "génocide". Mais il ne s'agit pas d'une reconnaissance formelle.
Berlin a toujours considéré ne pas avoir à payer de dédommagements individuels aux descendants des victimes, arguant de l'aide au développement versée à la Namibie depuis son indépendance de l'Afrique du Sud en 1990. Une aide qualifiée de "généreuse", avec des montants "records" par habitant, qui reflète "la responsabilité particulière" de l'Allemagne, a fait valoir un porte-parole du ministère des Affaires étrangères.
Berlin négocie depuis deux ans avec le gouvernement namibien une déclaration commune: l'Allemagne présenterait des excuses pour les massacres et envisagerait un dédommagement global sous forme d'aide au développement spécifique pour les descendants des victimes.
Mais les représentants des deux tribus contestent la validité de négociations dont ils ne sont pas partie prenante. Selon la plainte déposée au nom des quelque 250.0000 descendants des victimes des deux tribus et un recours déposé parallèlement auprès des Nations unies, leur absence enfreint une déclaration de l'ONU sur les droits des peuples indigènes.
Les négociations "ne peuvent pas être sur nous, sans nous", a souligné Ester Muiinjangue, une représentante Nama.
Les chefs tribaux réclament par ailleurs de vrais dédommagements.
"Je suis sûr que l'Allemagne demandera, +Combien de milliards voulez-vous?+ Je ne sais pas, nous devons nous asseoir autour d'une table et décider cela sur la base du donnant-donnant", a souligné le chef Rukoro, estimant "ne voir aucune raison" pour que le dispositif adopté pour les victimes juives du régime nazi ne soit pas appliqué.
Leur avocat Kenneth McCallion, qui a défendu de nombreux descendants de victimes de l'Holocauste, a également évoqué cette possibilité, jugeant cependant "prématuré" toute discussion sur le montant des indemnisations.
Lui aussi espère que Berlin va désormais "revoir sa position" sur la présence de représentants tribaux dans les négociations, et va répondre à la plainte si possible avant l'audience de juillet.