Les juges de la Cour pénale internationale (CPI) pourraient attribuer vendredi les premières sommes affectées au dédommagement de victimes de crimes de guerre, estimées à plus de 16,4 millions de dollars par les avocats des victimes d'une attaque sur un village congolais en 2003.
La décision des juges concernant des réparations pour 304 victimes de l'ancien chef de milice congolais Germain Katanga serait une étape importante pour la CPI, unique tribunal permanent chargé de juger les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité.
"La réparation doit replacer la victime dans une situation aussi proche que possible de celle qui était la sienne avant que ladite faute ne soit commise", affirme le représentant légal des victimes, Fidel Nsita Luvengika, dans un document officiel de septembre.
Germain Katanga, 38 ans, avait été condamné en 2014 à douze années de détention, après avoir été reconnu coupable de complicité de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Il avait facilité et coordonné l'approvisionnement en armes des membres de sa milice qui avait attaqué le 24 février 2003 le village de Bogoro, tuant 200 personnes environ, par balle ou à la machette.
Les avocats des victimes ont estimé les dommages causés à au minimum 16,4 millions de dollars (15,17 millions d'euros) même si les victimes ne réclament pas ce montant "en tant que tel au titre de réparation".
- Hors des salles d'audiences -
Germain Katanga, actuellement en procès à Kinshasa pour "crime de guerre, crime contre l'humanité et participation à un mouvement insurrectionnel" dans la région aurifère de l'Ituri (nord-est de la RDC), est responsable du paiement de toute réparation éventuelle.
Les juges pourraient choisir entre des réparations collectives, en attribuant l'argent à des projets, et des dédommagements individuels.
La décision pourrait "offrir la perspective d'une réparation des torts pour les victimes", explique à l'AFP le directeur du Fonds pour les victimes, Pieter de Baan, soulignant l'importance de montrer que la justice "ne se limite pas aux salles d'audiences".
Organisme indépendant, le Fonds supporte les victimes et des projets destinés à les aider.
Si Germain Katanga ne peut payer, l'organisme pourrait puiser dans ses propres fonds et contribuer grâce aux donations d'Etats parties au Statut de Rome, le traité fondateur de la Cour. Mais cette réserve ne s'élève qu'à cinq millions de dollars, dont un million a déjà été mis de côté pour l'affaire Lubanga, un autre Congolais condamné en 2012 à 14 ans de détention pour l'enrôlement d'enfants soldats.
Dans son document, Fidel Nsita Luvengika énumère les dommages enregistrés: 228 maisons ont été détruites, évaluées à 600 dollars chacune; une nouvelle école, 22.400 dollars; 79 personnes ont perdu chacune entre 10 et 15 vaches, coût estimé entre 316.000 et 474.000 dollars.
Il demande également aux juges de placer une valeur monétaire sur la perte d'un parent ou d'un proche, ou sur les dommages subis en cas de viol, de mutilation ou de revenus dérobés.
- Réconciliation -
"Le régime des réparations est sans réel précédent", assure M. De Baan. "Ce n'est pas de la science : c'est tenter d'atteindre une estimation du mal subi en lien avec les crimes".
Dans l'affaire Lubanga, de premières compensations avaient été attribuées. Mais celles-ci n'étaient que "symboliques", selon les juges, dans le but de créer un mémorial. Une décision finale sur les réparations se fait toujours attendre.
"L'argent ne va pas faire revenir les victimes", assure à l'AFP Salomon Kisembo Byaruhanga, chef du groupement Babiase à Bogoro. Cette communauté souhaite plutôt que "des excuses publiques lui soient adressées".
"Germain Katanga n'était pas seul, ses frères d'armes continuent à commettre des atrocités dans la région", ajoute-t-il : "Pour nous, la plus grande réparation serait que Germain et les siens s'engagent à ne plus commettre de tueries, massacres et pillages contre la population."
Les travailleurs des ONG espèrent de leur côté que l'argent ira à des projets sur le long terme, comme la construction de routes, d'écoles, de centres de santé.
"Etant donné qu'aujourd'hui victimes et bourreaux vivent ensemble, il faut aider les gens à parvenir à une vraie réconciliation", assure Jean Bosco Lalo, coordonnateur d'une coalition d'ONG et associations locales.