Des personnes réadmises à la communion après des années d'excommunication suite à leur participation au génocide des Tutsi de 1994 ? Inconcevable il y a quelques années, cette réhabilitation, qui couronne un programme spécial de rééducation spirituelle, est aujourd'hui une réalité dans quelques paroisses catholiques du Rwanda. Les prêtres à l'origine de cette nouvelle pastorale ont dû cependant faire face, au début, à une sourde et tacite hostilité, y compris de la part de leur hiérarchie.
Un foulard mauve dissimulant mal une entaille cicatrisée au niveau du cou, Claudette Mukamanzi, rescapée du génocide, vient d'embrasser son « tueur » Jean - Claude Ntambara. « Ntambara, dit-elle, je te pardonne du fond du cœur, même si tu m'as tuée et décimé tous les miens ! ».
Il y a 23 ans, elle a été « tuée» et laissée pour morte par celui qu'elle embrasse aujourd'hui, dans la nouvelle église de Nyamata, au sud-est de Kigali. Le « tueur de renom » Jean Claude Ntambara et plus d'une centaine d'autres bourreaux sont agenouillés devant l'autel, pour une ultime demande de pardon. Sur leurs épaules, sont posées les mains de leurs victimes miraculées, dans une cérémonie qui se déroule à deux pas de l'ancienne église de Nyamata, devenue mémorial du génocide. Cette église-mémorial abrite les restes de près de 45.000 Tutsis tués en 1994 dans l'édifice religieux ou ses environs.
Avec ferveur, l'Abbé Emmanuel Nsengiyumva prie pour eux tous, bourreaux et victimes. « Seigneur, chasse de leurs cœurs toute discrimination ethnique, toute haine, toute jalousie, toute rancœur et tout esprit de vengeance […] Donne-leur une âme et un cœur nouveaux, l'amour et la paix du cœur et guéris les cœurs blessés par l'innommable crime de génocide ». Pour exorciser les tueurs repentis, le prêtre les asperge d'eau bénite.
La cérémonie que préside aujourd'hui l'Abbé Nsengiyumva a été d'abord expérimentée dans les paroisses de Mushaka et Nyamasheke, dans le sud-ouest du Rwanda. Comme ici, à Nyamata, les personnes condamnées pour leur participation au génocide des Tutsis sont automatiquement excommuniées. Mais une nouvelle chance leur est offerte après l'exécution de leur peine : un programme intensif de six semaines de contrition envers l'Eglise et leurs victimes. Ce programme comprend quatre séquences dont la première est consacrée au thème «les valeurs humaines, le péché et ses conséquences ». La deuxième planche sur « les dix commandements de Dieu », la troisième sur « les conséquences pour les victimes et les bourreaux eux-mêmes » tandis que la dernière traite de « la discrimination et de ses conséquences ». A la fin de ce programme, ils peuvent, après évaluation de leur réintégration, être réadmis à la communion et à la convivialité avec les familles de leurs victimes.
« Nous répondrons chacun de nos actes »
« Mais pourquoi l'excommunication alors que ces gens ont purgé leur peine ? », interrogent certains. « Parce qu'on se trompe sur l'état réel de la réconciliation au Rwanda », répond l'Abbé Eric Nzamwita, curé de Mushaka. « Les gens font croire qu'ils vivent en paix alors que, dans la réalité, ils évitent même de se croiser dans la rue », explique-il. Certains survivants du génocide, tel François Safari, fustigent, de leur côté, des aveux prononcés du bout des lèvres, de faux repentirs. Pour lui, les tribunaux semi-traditionnels Gacaca [prononcer gatchatcha] qui ont jugé la plupart des auteurs présumés du génocide, n'étaient qu'une « une amnistie déguisée décidée par l'autorité ». « Les aveux des criminels ne venaient pas du fond de leur cœur mais visaient simplement à obtenir une réduction de peine », affirme-t-il.
Des interrogations auxquelles le désormais célèbre initiateur de ce programme, l'Abbé Ubaldo Rugirangoga, aime répondre très succinctement. « Devant Dieu, nous répondrons chacun de nos actes et non de ce que les autres nous ont fait ». Les bourreaux ont-ils dit la vérité, toute la vérité ? Se sont-ils réellement repentis comme ils le clament ? Les victimes qui disent avoir pardonné sont-elles sincères ? Seuls les concernés et Dieu le savent. L'homme, pour sa part, ne peut en juger qu'en observant les actes des uns et les autres, comme l'explique l'Abbé Achille Nzamurambaho, curé de Ntendezi, dans le sud-ouest du Rwanda. La Commission nationale pour l'unité et la réconciliation, qui salue cette pastorale, estime que le repentir et l'exécution des travaux d'intérêt général (TIG) sont un pas insuffisant pour une vraie réconciliation. « Plus que le plaidoyer de culpabilité, c'est la réconciliation avec votre conscience et les victimes qui scelle la vraie réconciliation et la paix du cœur », affirme Fidèle Ndayisaba, secrétaire exécutif de la Commission.
Vaincre la peur de dire la vérité
De fait, les premiers pas dans la communauté, après l'exécution de la peine sont très difficiles, peut-être même aussi difficiles que la prison : la peur et l'angoisse de croiser ses victimes, des nuits blanches ou des cauchemars, comme en témoignent Jean- Claude Ntambara et d'autres.
« J'avais peur de chaque rescapé, confie Anastase Habyarimana, car je m'imaginais qu'il me poserait des questions sur le génocide ou la mort des siens ». Le repenti affirme avoir été délivré par cette « pastorale » qui l'a aidé à vaincre sa peur et à dire à Antoinette Uzabakiriho toute la vérité sur la mort de sa mère. Il a raconté comment il avait tué à coups de machette la mère d’Antoinette, comment elle avait lutté contre la mort avant de rendre l’âme après avoir été jetée dans une fosse. Antoinette indique que ces aveux lui ont enfin permis de terminer le deuil de sa mère.
Initiée en 2008 par l'Abbé Ubaldo Rugirangoga, cette initiative qui était loin de faire l'unanimité au départ, a ainsi fait ses preuves de l'ouest à l'est, du sud au nord du Rwanda. A tel point que d'autres confessions religieuses s'y intéressent aujourd'hui et veulent l'adopter, comme l'indique le curé de Ntendezi, l'abbé Nzamurambaho, l'un des tout premiers à avoir emboîté le pas à son confrère Rugirangoga. Le nom de ce dernier est aujourd'hui connu dans toutes les paroisses catholiques du Rwanda où il est régulièrement invité à prêcher dans le cadre de cette nouvelle pastorale du repentir et du pardon. Une pastorale qui « s'est imposée par ses fruits en matière de réconciliation », selon Naphtal Ahishakiye, secrétaire exécutif d'Ibuka, la principale organisation de survivants du génocide.