"Nous vivions à Puerto Guayuyaco (dans le département voisin du Cauca) et il y a plus de dix ans, nous avons été déplacés par la guérilla", se souvient Sandra Peña, indigène de 39 ans rescapée de la catastrophe qui a dévasté Mocoa, chef-lieu du Putumayo (sud), dans l'Amazonie colombienne.
Ce soir-là, il était déjà tard et elle ne parvenait pas à trouver un moyen de transport pour rentrer chez elle, dans la partie haute de la montagne, arrachée par le glissement de terrain. Avec ses enfants de 13 et 16 ans, elle est alors restée chez son frère, dans un quartier également affecté, mais dans une moindre mesure.
"La maison s'est mise à trembler et j'ai pensé que c'était un séisme. Nous nous sommes assis sur le lit, priant (...) Nous ne nous sommes pas rendu compte que l'eau commençait à monter et nous ne sommes pas sortis, bien que nous entendions les voisins crier. Une fois le pire passé, j'ai voulu ouvrir la porte et je n'ai pas pu: des troncs d'arbre faisaient barrage et ont en fait empêché que la boue rentre", a-t-elle raconté à l'AFP.
- 'Effacés de la carte' -
Sandra Peña et une soixantaine d'autres MusurrunaKuna, qui font partie de l'ethnie Inga, sont depuis hébergés au siège de l'Association des femmes indigènes, où ils cohabitent "plus tranquillement que dans d'autres refuges" parce qu'ils se connaissent tous et qu'"en plus il y a de l'eau".
Au total, quelque 1.300 indigènes sont sans abri depuis la catastrophe de Mocoa causée dans la soirée du 31 mars par la crue brutale de trois rivières suite à des pluies torrentielles.
Sur les plus de 300 morts, au moins 115 étaient indigènes et six des 13 hameaux indiens du secteur ont été "effacés de la carte", selon des chiffres de l'Organisation indigène du Putumayo (OZIP), qui compte environ 32.000 indiens.
Albaro Cruz, vice-président de l'OZIP, a précisé que depuis la tragédie, la communauté est mobilisée pour "recevoir la population affectée".
"Il y a des gens que nous prenons entièrement en charge, mais d'autres qui sont hébergés par des proches et auxquels nous donnons seulement des produits alimentaires et médicaux", a-t-il indiqué à l'AFP.
Depuis le début des années 60, la confrontation armée entre guérillas, paramilitaires et forces armées a fait au moins 260.000 morts, plus de 60.000 disparus et causé le déplacement de quelque 6,9 millions de personne, dont un grand nombre d'indiens.
- Territoire 'perdu' -
Ceux qui, après avoir tout perdu, avaient échoué à Mocoa, s'étaient installés à proximité des rivières et des torrents, des terrains pas chers où construire leurs modestes masures de briques brutes et de toits en tôle.
Lizeth Peña, 37 ans, explique que les MusurrunaKuna étaient originaires de Mocoa. Mais l'arrivée du "non indien" les avait contraints à partir vers d'autres secteurs du Putumayo et dans le Cauca. D'où ils avaient donc dû à nouveau s'enfuir du fait de la présence de groupes armés.
"Nous avons dû quitter la réserve parce que la guérilla a brûlé notre ferme. Il est arrivé la même chose à tous ceux qui sont ici", déplore-t-elle, en expliquant que la communauté s'est néanmoins organisée et a réussi à obtenir une nouvelle "réserve, qui compte un territoire".
"Nous en avons obtenu la reconnaissance en 2012 et un territoire (...) où nous nous sommes établis pour reconstruire notre vie communautaire. Mais avec ce qui s'est passé, nous avons perdu le peu de territoire que nous avions", ajoute-t-elle.
Tandis que les enfants courent et jouent au foot dans le refuge aménagé entre les maisons détruites, Lizeth Peña explique que, pour surmonter les traumatismes de cette nuit de cauchemar, les indigènes se réunissent chaque soir pour "partager la parole" et faire brûler des herbes, "ce qui aide beaucoup à se détendre".