Les Imbonerakure, les membres de la ligue de jeunesse du parti au pouvoir au Burundi mis en cause cette semaine pour une vidéo embarrassante, se sont imposés comme l'un des principaux instruments de répression du régime.
Dans la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, des militants entonnent lors d'une sorte de cérémonie militaire des chants en kirundi, la langue nationale, appelant à "engrosser les opposantes (pour) qu'elles enfantent des Imbonerakure".
L'opposition a dénoncé "un appel au viol massif" et le parti au pouvoir, le CNDD-FDD, inquiet des répercussions de la vidéo à l'étranger pour l'image déjà fortement dégradée du régime, a été contraint à s'en démarquer.
Ce chant "ne concorde ni avec les moeurs ni avec l'idéologie du parti CNDD-FDD", a-t-il fait savoir, disant condamner "avec la dernière énergie cet écart de langage" et promettant des sanctions.
L'opposition a accusé les Imbonerakure, déjà qualifiés de milice par l'ONU et soupçonnés d'avoir commis, aux côtés de la police, des services secrets et de l'armée, de graves violations des droits de l'homme depuis le début de la crise burundaise en 2015, "de se montrer sous leur vrai visage".
Dans un rapport de juillet 2016, Human Rights Watch (HRW) avait déjà affirmé qu'ils avaient "violé collectivement, de manière répétée, des femmes" depuis 2015 et ciblé "des parentes d'individus perçus comme des opposants".
Le CNDD-FDD se défend contre les différentes accusations en parlant d'une tentative de diabolisation des Imbonerakure ("Ceux qui voient de loin" en kirundi) mise sur le compte d'un "complot international" orchestré par le Rwanda, la Belgique et l'UE, avec l'appui de la presse étrangère.
La Ligue de jeunesse du CNDD-FDD compte plus de 4 millions d'inscrits (sur 11,2 millions d'habitants), dont des ministres, des chefs d'entreprises ou de simples paysans, "engagés pour l'unité et le développement du pays", selon ses responsables.
"Le problème, ce ne sont pas ces millions de jeunes dont ils parlent et qui sont une sorte de façade officielle" mais les quelque 20.000 qui "sont mis en cause dans les violences" et "constituent le bras armé du CNDD-FDD", estime une source diplomatique.
- Impunité -
Historiquement, les Imbonerakure sont les héritiers des "Abadoriya" ("Ceux qui espionnent"), les jeunes chargés lors de la guerre civile ayant fait 300.000 morts entre 1993 et 2006, de surveiller l'armée alors à dominante tutsi.
"Tous les Imbonerakure ne sont pas des criminels mais une frange d'entre eux a été intégrée dans l'armée, la police et les services secrets depuis le début de la crise", observe Florent Geel, directeur Afrique de la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH), notant leur influence "grandissante".
Les Imbonerakure sont sous le contrôle des cinq ou six généraux qui dirigent le pays, selon des sources politiques et diplomatiques, avec à leur tête le président Pierre Nkurunziza, dont la candidature en avril 2015 à un troisième mandat controversé et la réélection en juillet suivant ont provoqué la crise actuelle.
En plusieurs endroits du pays, où sont régulièrement signalés par des médias indépendants des arrestations, tortures ou assassinats, ils font la loi, forts notamment de leur proximité avec le redouté Service national de renseignement (SNR), selon de nombreux témoignages recueillis par l'AFP.
Ils surveillent notamment les routes menant au Rwanda (nord) ou en Tanzanie (est) pour freiner l'exil massif, ce qui n'a pas empêché 400.000 Burundais de fuir les violences qui ont fait entre 500 morts, selon l'ONU, et 2.000, selon les ONG.
"Les Imbonerakure sont devenus au fil du temps le fer de lance de la répression. Ils maillent tout le territoire national en identifiant et en harcelant l'opposition", affirme M. Geel, rappelant qu'ils "ont été entraînés militairement et armés déjà avant le début de cette crise".
En janvier, HRW estimait que les Imbonerakure jouissent d'une impunité quasi totale. Ils échappent au contrôle de l'administration, racontait récemment à l'AFP un policier, se disant totalement impuissant quand ils sont impliqués.
Pour M. Geel, la dernière vidéo n'est qu'une preuve supplémentaire "que le viol est utilisé ici comme arme de guerre et d'humiliation", ce qui revient à en faire "un crime contre l'humanité (...) passible de la CPI", la Cour pénale internationale.
Certains opposants ont fait le rapprochement entre les Imbonerakure et les Interahamwe, les extrémistes hutu responsables du génocide de 1994 au Rwanda. Le CNDD-FDD, principale rébellion hutu de la guerre civile burundaise, s'est toujours défendue de préparer un génocide.