Un atelier national regroupant des représentants des pouvoirs publics et de la société civile vient de valider, à Conakry, l’avant-projet de loi portant création d’une Commission Vérité, Justice et Réconciliation en Guinée. C’est le résultat des recommandations formulées par la Commission provisoire de réconciliation nationale (CPRN) après 5 années de larges consultations.
En ouvrant les travaux de l’atelier le 12 avril 2017 à Conakry, le Premier ministre guinéen, Mamadi Youla, a tenu à lever toute équivoque : « La Commission n’aura le pouvoir ni de juger ni d’amnistier qui que ce soit, le pouvoir de juger ne revient qu’à la justice ». Il a cependant assuré que la Commission jouira d’une indépendance politique, et se conformera aux principes de la lutte contre l’impunité conformément aux réalités du pays.
Trois jours de travaux ont permis aux participants venus du secteur public et de la société civile, d’élaborer l’avant-projet de loi qui sera soumis au Conseil des ministres, avant d’être examiné et adopté par le Parlement. L’importance de ce processus n’échappe à personne. En témoignent les propos du ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique à la clôture de l’atelier : « la Guinée doit se réconcilier avec son passé. Les questions que nous posent les jeunes de notre pays sur notre histoire récente, questions restées souvent sans réponses, nous interpellent tous pour un engagement toujours plus soutenu pour la vérité, la justice, les réparations et des garanties de non répétition ».
La compétence temporelle de la Commission devrait couvrir plus d’un demi-siècle. Depuis l’indépendance et sous tous les régimes qui se sont succédé, y compris sous le magistère actuel du président Alpha Condé, le pays a connu de nombreuses et graves violations des droits de l’Homme. Des crimes restés impunis et des situations dénoncées par les Guinéens eux-mêmes, par la communauté internationale et par de nombreuses ONG nationales et internationales.
Le tristement célèbre Camp Boiro
Certaines de ces exactions restent et resteront pour longtemps gravées dans la mémoire collective des Guinéens : la répression contre l’ethnie peule sous le régime du président Sékou Touré (1958 – 1985) pour des complots le plus souvent inventés pour justifier emprisonnements, tortures et exécutions sommaires. L’Association des familles des victimes du tristement célèbre Camp Boiro est là pour que ces crimes ne soient pas oubliés et surtout ne restent pas impunis. Les organisations des droits de l’homme estiment qu’environ 50 000 personnes sont mortes au camp Boiro, parmi lesquelles l’ancien secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine, Diallo Telli, qui rendit l’âme le 1er mars 1977.
Le régime suivant, celui du général Lansana Conté, s’est illustré dans ses premières années par la répression contre les Malinké, ethnie de Diarra Traoré, auteur d’une tentative de coup d’Etat en juillet 1985. Après l’échec de son coup, Diarra Traoré sera exécuté. Il ne sera pas le seul à payer car la vengeance va se prolonger aveuglément sur les membres de son ethnie. Soussous (ethnie du président) et Peuls envahissent les rues de Conakry pour soutenir les troupes loyalistes. Et piller ou saccager les propriétés de la minorité Malinké. Le bilan de cet autre douloureux épisode ne sera jamais connu. Mais aujourd’hui encore, les victimes réclament réhabilitation et réparation.
Plus récemment, les événements du 28 septembre 2009. Ce jour-là, des militaires font irruption au Stade de Conakry où se tient un meeting de l’opposition. Tirs dans le tas, viols, bastonnades. Plus de 150 morts, plus de 200 femmes violées. L’événement est revenu au centre de l’actualité récemment avec l’arrestation le 16 décembre dernier à Dakar, après 7 ans de cavale, de Toumba Diakhité, aide de camp de Dadis Camara, président à l’époque des faits. L’homme a été extradé à Conakry et les autorités guinéennes ont promis un procès sur cette affaire avant la fin de cette année.
Des doutes
Même le régime actuel n’est pas épargné par les faits à examiner par la future Commission Vérité, Justice et Réconciliation. De nombreuses manifestations de l’opposition guinéenne ont souvent été réprimées dans le sang par les forces de l’ordre. Comme celle du 20 février dernier à Conakry quand les populations réclamaient la réouverture des classes fermées par les autorités suites à la grève des enseignants. Bilan officiel, 5 morts. Sans parler de crimes et de disparitions jamais élucidés et donc restés impunis, les enquêtes annoncées par les autorités n’ayant jamais abouti.
La tâche qui attend la Commission et ses membres est donc immense : recenser toutes les affaires depuis plus de 50 ans, recueillir les dépositions directement auprès des témoins et victimes en veillant à rassurer et sécuriser ces derniers, recueillir et rassembler les preuves matérielles là où c’est encore possible, confronter les faits et situer les responsabilités, mais sans s’ériger en tribunal. « Il n’y a pas d’avenir sans pardon », disait l’archevêque noir sud-africain et Prix Nobel de la Paix, Mgr Desmond Tutu, qui eut le privilège de présider la commission Vérité de son pays à la fin de l’apartheid.
Un premier défi pour la future commission guinéenne sera de convaincre de sa capacité à aller jusqu’au bout. Sceptiques, beaucoup de Guinées craignent en effet qu’elle ne soit confrontée à des ingérences une fois ses activités lancées. Ou qu’elle soit tout simplement tuée dans l’œuf. Lors de l’atelier de validation de l’avant-projet de loi portant création de la Commission, le ministre de l’Enseignement supérieur s’est en tout cas voulu rassurant. « Il est temps que les Guinéens se parlent et se disent certaines vérités mais aussi ensemble, pardonner pour avancer », a déclaré le ministre, comme s’il balayait ces doutes et inquiétudes.