L'ex-président tchadien Hissène Habré, 74 ans, a définitivement été condamné jeudi à la prison à vie pour crimes contre l'humanité, un verdict rendu à l'issue de son procès en appel devant un tribunal spécial africain siégeant à Dakar.
Ce jugement confirme celui rendu en première instance en mai 2016 par les Chambres africaines extraordinaires (CAE), créées en vertu d'un accord entre l'Union africaine (UA) et le Sénégal, où M. Habré s'est réfugié après avoir été renversé en décembre 1990 par l'actuel président tchadien Idriss Deby Itno.
Une commission d'enquête tchadienne estime le bilan de la répression par son régime (1982-1990) à quelque 40.000 morts.
Son procès était le premier au monde dans lequel un ancien chef d'Etat est traduit devant une juridiction d'un autre pays pour violations présumées des droits de l'Homme, et le premier tenu en Afrique en application du principe de compétence universelle.
Il visait également à répondre aux griefs croissants contre la Cour pénale internationale (CPI), siégeant à La Haye, accusée de ne poursuivre que des dirigeants africains, en montrant que le continent peut les juger lui-même.
Le procès en appel d'Hissène Habré s'était déroulé en janvier devant une cour présidée par le magistrat malien Wafi Ougadèye, qui a rendu son verdict jeudi.
La Cour d'appel "confirme la décision" sur les crimes de guerre, crimes contre l'humanité et crimes de torture, a déclaré M. Ougadèye.
M. Habré a en revanche été acquitté de l'accusation de viol, une "infirmation partielle qui n'a aucun effet" sur le verdict selon le magistrat. Il purgera sa peine au Sénégal ou dans un autre pays de l'UA.
La Cour a également ordonné que quelque 82 milliards de FCFA (plus de 125 millions d'euros) soient versés à près de 7.400 victimes, a affirmé à l'AFP Me Delphine Kemneloum Djiraibé, des parties civiles.
- "Message fort" -
Le 30 mai 2016, dix mois après l'ouverture du procès en première instance, Hissène Habré avait été condamné à la perpétuité pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité, tortures et viols par le tribunal spécial puis, le 29 juillet 2016, à payer jusqu'à 20 millions de FCFA (plus de 30.000 euros) par victime.
Un fonds d'indemnisation des victimes "a été créé par l'UA. Le problème qui se pose, c'est son alimentation" et pour le doter, "il faut faire des plaidoyers", a indiqué à l'AFP Me Jacqueline Moudeina, autre avocate des parties civiles.
Durant tout son procès, Hissène Habré a refusé de s'exprimer ou d'être représenté devant une juridiction qu'il a toujours récusée.
Il a été défendu par trois avocats commis d'office par le tribunal, qui ont fait appel du verdict rendu en 2016: ils réclamaient une annulation de sa condamnation, dénonçant notamment des erreurs affectant la validité du jugement.
L'un de ces trois défenseurs commis d'office, Me Mbaye Sène, a regretté jeudi des "réponses évasives de la Cour" à leur demande d'annulation du verdict. "Aucune démonstration de sa culpabilité (de M. Habré) n'a été faite", a-t-il dit à la presse.
La condamnation définitive d'Hissène a été saluée par des plaignants, leurs soutiens et des défenseurs des droits humains.
"Le verdict d'aujourd'hui (jeudi) marque une étape importante dans la longue et déterminante quête de justice des victimes" de M. Habré, a affirmé Amnesty International dans un communiqué.
"Aujourd'hui, je suis enfin en paix", a réagi Souleymane Guengueng, président d'une association de victimes, dans un message électronique.
Ce jugement "représente une immense victoire pour les victimes tchadiennes", a estimé dans le même message le juriste américain Reed Brody, qui travaille avec les victimes depuis 1999.
Mais également, il "envoie un message fort: l'époque où les tyrans pouvaient brutaliser leur peuple, piller les richesses de leur pays puis s'enfuir à l'étranger pour profiter d'une vie de luxe, touche à sa fin", a ajouté M. Brody.
L'audience s'était ouverte peu après 10H00 (locales et GMT), dans une salle sans grande affluence, en l'absence d'Hissène Habré, sans que le président Wafi Ougadèye évoque cet aspect, selon un journaliste de l'AFP.
L'annonce du verdict marque la fin des activités des CAE, comme prévu par leur statut. Avant le démarrage du procès, ses responsables avaient indiqué que son budget avoisinait "les 6 milliards de FCFA (plus de 9 millions d'euros)", financés par plusieurs bailleurs dont le Tchad.