Le contraste ne saurait être plus saisissant. L’Union africaine et l’Union européenne ont pour la première fois, créé chacune un tribunal pénal régional pour juger les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Mais le résultat est radicalement différent et la comparaison guère flatteuse pour l’Europe.
Ce jeudi, en appel, les juges des Chambres africaines extraordinaires (CAE) qui siègent à Dakar ont confirmé la culpabilité de l’ex-dictateur tchadien, Hissène Habré, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité et l’ont condamné à la perpétuité. En revanche, les Chambres spéciales pour le Kosovo, créées par l’Union européenne, ont toutes les difficultés à se mettre en place.
L’ex-procureur suisse Dick Marty, l’auteur du rapport explosif du Conseil de l’Europe où il accusait en décembre 2010 certains des plus hauts dirigeants de l’armée de libération du Kosovo (UCK) d’avoir commis des assassinats et de s’être livrés à des trafics d’organes, ne croit pas en la capacité de la justice internationale de faire son travail. Alors qu’à Dakar, les juges s’apprêtaient à condamner Hissène Habré, Dick Marty rappelait dans une intervention publique à l’université de Neuchâtel, l’impuissance de la justice de l’UE à poursuivre les auteurs de tels crimes, alors que nombre de témoins ont été assassinés ou sont terrorisés : « Qui, dans ces conditions, serait assez fou pour témoigner ? », s’exclama-t-il. Les faits, jusqu’ici, lui donnent raison, tant les tentatives de poursuites des auteurs des crimes de guerre commis au Kosovo se sont heurtés à des obstacles de taille.
Deux différences fondamentales expliquent le succès du tribunal créé par l’Union africaine et les obstacles que rencontre celui né de la volonté de l’Union européenne. D’un côté, des victimes tchadiennes, aussi tenaces que déterminées, épaulées par des associations de défense des droits de l’homme, ont fini après un quart de siècle ( !) par triompher de tous les obstacles pour faire juger leur ex-dictateur vivant en exil. De l’autre, des procureurs internationaux se heurtent à un pouvoir en place qui remonte jusqu’au président de la république du Kosovo, lui aussi soupçonné d’être responsable de crimes de guerre.
En d’autres termes, là où les Chambres africaines extraordinaires ont bénéficié du soutien d’une large partie de la société tchadienne ainsi de la légitimité et de l’absolue coopération des victimes, les Chambres spéciales du Kosovo n’ont rien de cela et ne bénéficient que très modérément de la coopération des Etats européens qui les ont pourtant créées. La leçon est amère : sans appui de la société civile et des victimes au nom desquelles une justice est rendue, un tribunal pénal, fut-il régional, demeure hors sol et reste confronté à des obstacles quasi-insolubles.