Le capitaine Innocent Sagahutu est de nouveau dans « la maison sécurisée » où il réside depuis quelques années avec d’autres personnes libérées par l’ex-Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), à Arusha, en Tanzanie. Il était, depuis une vingtaine de jours, entre les mains des services de sécurité tanzaniens, qui lui reprochaient d’avoir tenté d’entrer au Burundi, sans documents de voyage. Cet officier de l’ancienne armée rwandaise avait été reconnu coupable du meurtre de Casques bleus belges le 7 avril 1994 à Kigali, au tout début du génocide contre les Tutsi.
Le capitaine Innocent Sagahutu avait été intercepté le 10 mars dans le district tanzanien de Ngara, alors qu’il s’apprêtait à franchir la frontière pour gagner le Burundi. Qu’allait-il faire dans ce pays voisin de sa région natale de Cyangugu, dans le sud-ouest du Rwanda ? L’ancien officier avait expliqué au quotidien tanzanien, The Citizen, qu’il voulait rendre visite à des proches vivant au Burundi. Mais selon les services d’immigration tanzaniens, il ne disposait d’aucun document l’autorisant à quitter les frontières du pays. Faux, avait rétorqué Sagahutu, expliquant à The Citizen qu’il était porteur de documents en bonne et due forme délivrés par les services de l’ONU en Tanzanie et qu’il avait pu se rendre récemment au Mozambique et en Suisse, muni des mêmes papiers.
Le Mécanisme pour les Tribunaux pénaux internationaux (MTPI), qui assure les fonctions résiduelles du TPIR, après la fermeture de ce dernier en décembre 2015, avait cependant démenti cette affirmation du capitaine. “Nous sommes catégoriques au MTPI, nous ne lui avons délivré aucun document l’autorisant à sortir de la Tanzanie. Nous n’avons d’ailleurs pas cette compétence”, avait indiqué à JusticeInfo, le porte-parole du MTPI, Ousman Njikam, joint par téléphone à Arusha. Njikam avait expliqué que son institution ne délivre aux anciens prisonniers hébergés dans “la maison sécurisée” qu’un document leur permettant d’accéder aux bâtiments du MTPI ou d’aller se faire soigner, mais sans sortir de la ville d’Arusha. “Nous ne pouvons pas intervenir dans cette affaire qui relève de la souveraineté de la Tanzanie. Nous attendons donc, comme tout le monde, la décision qui sera prise par les autorités tanzaniennes”, avait-il ajouté.
Entre-temps, le capitaine Sagahutu avait été transféré aux services d’immigration à Dar es Salaam, la capitale tanzanienne. C’est de là qu’il a été relâché le 1er mai pour retourner dans “la maison sécurisée” à Arusha. “Je remercie les autorités tanzaniennes”, a-t-il déclaré le lendemain au service kinyarwanda-kirundi de la VOA, en se plaignant cependant de mauvaises conditions aux premiers jours de sa détention à la demande des services d’immigration.
Peur de retourner au Rwanda
Aujourd’hui âgé de 55 ans, Innocent Sagahutu commandait en 1994 un escadron du bataillon de reconnaissance, une unité d’élite de l’armée rwandaise de l’époque. Parti en exil en juillet 1994, alors que l’ex-rébellion du Front patriotique rwandais (FPR, aujourd’hui au pouvoir) prenait le contrôle du pays, Sagahutu avait plus tard réussi à entrer au Danemark et à y obtenir le statut de réfugié politique. C’est là qu’il fut arrêté en février 2000 en exécution d’un mandat d’arrêt du TPIR.
Jugé avec trois autres anciens officiers plus haut gradés que lui, il sera condamné à 20 ans de prison après avoir été reconnu coupable de meurtres en tant que crimes contre l’humanité et crimes de guerre le 17 mai 2011. Selon ce jugement de première instance, le capitaine a, notamment ordonné de tuer le Premier ministre Agathe Uwilingiyimana et dix Casques bleus belges de la mission de l’ONU le 7 avril 1994.
Mais le 11 février 2014, la chambre d’appel réduit la peine à 15 ans de prison, ne retenant la responsabilité criminelle de Sagahutu que pour avoir aidé et encouragé au meurtre d’au moins deux Casques bleus belges. Il est acquitté du meurtre d’Agathe Uwilingilimana.
Trois mois plus tard, le capitaine recouvre la liberté, le président du MTPI, le juge Theodor Meron, ayant accueilli favorablement sa demande de libération anticipée. Dans “la maison sécurisée” qui le reçoit à sa sortie du centre de détention, il retrouve d’autres personnalités libérées avant terme comme lui, ou tout simplement acquittées. Parmi elles, figurent des officiers supérieurs de l’ancienne armée rwandaise et d’ex ministres. Aucun de ces anciens dignitaires ne veut entendre parler de retourner au Rwanda. Affirmant craindre pour leur sécurité dans leur pays d’origine, ils demandent en vain à rejoindre leurs familles vivant aujourd’hui, pour la plupart, dans des pays occidentaux.