De la guerre d’Algérie à la Deuxième guerre mondiale, l’histoire du 20e siècle a été l’un des terrains d’affrontement les plus virulents entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. La France n’aurait-elle pas besoin d’une Commission vérité pour mieux assumer son passé colonial ?
L’helléniste Pierre Vidal-Naquet faisait remarquer que « les peuples qui n’ont pas de mythe ont froid ». Aussi vieilles que sont les nations, le roman national a existé, car la définition de l’identité nationale est une construction sociale toujours en mouvement. Travailler le passé, c’est forcément définir le présent, affirmer ses valeurs et montrer le cap pour l’avenir.
Chez Marine Le Pen, le roman qu’elle dépeint, c’est celui d’une France éternelle, immuable, aussi virginale et catholique que Jean d’Arc. Un absolu de pureté, dont la souveraineté est menacée par des ennemis impitoyables. Des ennemis ligués contre elle, venant aussi bien de l’extérieur que de l’intérieur et dont le but est de la soumettre à leur désir : pêle-mêle, l’Allemagne, l’Union européenne, la finance internationale, le migrant, le réfugié, le terroriste, les banlieues et l’Islam. S’inspirant de Trump, Poutine, Orban et Erdogan, l’ennemi qu’elle dénonce, c’est aussi la figure du traître, celui qui, comme Emmanuel Macron, - lui a-t-elle jeté à la figure durant le débat télévisé -, fait de « l’aplaventrisme » avec les ennemis de la France. La vérité historique ? Cela n’intéresse pas plus Marine le Pen que son père, qui évoquait le génocide des juifs par les nazis, comme « un détail de l’histoire ».
C’est ainsi que Marine le Pen a nié en dépit de l’évidence le fait que ce sont des policiers français qui ont arrêté en juillet 1942, 13.000 juifs lors de la rafle du Vel d’Hiv, dont seulement une centaine reviendront des camps de la mort. «S’il y a des responsables, c’est ceux qui étaient au pouvoir à l’époque. Ce n’est pas la France», explique-t-elle, comme si le régime de Vichy n’avait jamais existé. L’enjeu pour elle est toujours le même : celui de s’accrocher à la fiction d’une France éternellement pure, mais qui, selon elle, a été malmenée dans les esprits depuis des années» car «en réalité, on a appris à nos enfants qu’ils avaient toutes les raisons de la critiquer, de n’en voir peut-être que les aspects historiques les plus sombres».
D’où les emportements de la candidate frontiste lorsque Emmanuel Macron rappelle les crimes contre l’humanité dont se sont rendus des militaires français en Algérie entre 1954 et 1962. Pourtant, le propre père de la candidate, Jean-Marie Le Pen, assumait crânement avoir torturé dans le journal « Combat », le 9 novembre 1962: "Je n’ai rien à cacher. J’ai torturé parce qu’il fallait le faire. Quand on vous amène quelqu’un qui vient de poser vingt bombes qui peuvent exploser d’un moment à l’autre et qu’il ne veut pas parler, il faut employer des moyens exceptionnels pour l’y contraindre. C’est celui qui s’y refuse qui est le criminel car il a sur les mains le sang de dizaines de victimes dont la mort aurait pu être évitée".
A l’inverse de Marine Le Pen, le roman français d’Emmanuel Macron vise à dépeindre une France dynamique, multiculturelle, ouverte sur l’Europe et le monde qui n’a pas peur d’affronter les pages sombres de son histoire. Une manière aussi de rappeler l’idéologie du Front national, en se rendant successivement ces derniers jours au mémorial de la Shoah, à Oradour-sur-Glânes, ville-martyr où des centaines de Français avaient été tués par des nazis, ou encore, en marquant le souvenir de Brahim Bouarram assassiné le 1er mai 1995 par des militants d’extrême-droite.
Deux manières de penser la France se font face. Quel que soit le résultat des élections, la France n’a pas fini de travailler son histoire, et tout particulièrement, celle de son héritage colonial.