Alors que les Centrafricains commencent à rêver de justice à travers la Cour pénale spéciale qui se met progressivement en place, des gouvernements africains font campagne pour une loi d’amnistie.
Deux ans après le Forum national de Bangui qui avait réitéré l’obligation de juger les criminels de tous bords, comme préalable incontournable à la réconciliation, les seigneurs de guerre, petits et grands, se sont multipliés. Et leurs armes de guerre, issues de l’exploitation illégale des ressources naturelles des territoires sous leur coupe, sont dirigées non plus contre les seuls Centrafricains mais aussi contre les soldats de la paix déployés par l’ONU. Ceux qui sont derrière ces massacres donnent la preuve une fois de plus qu’ils n’ont que mépris pour leurs concitoyens et leurs autorités élues ainsi que pour les Nations unies.
C’est pourtant, dans ce contexte, que certaines voix au sein de cette nébuleuse que l’on appelle la communauté internationale, font pression en faveur d’une loi d'amnistie en faveur de certains des grands criminels présumés. D'autres, tel le président du Tchad, Idriss Déby, affirment que l'impératif est aujourd'hui à "la réconciliation nationale" et non à la justice, tant que les temps ne sont pas murs. Les propos du président tchadien dans son entretien récent avec Jeune Afrique ne souffre pas d'ambiguïté: "La Centrafrique a besoin d’une réconciliation nationale inclusive. Tant qu’on ne fera pas en sorte que le président Touadéra puisse organiser un vaste forum national en ce sens, incluant tous ceux qui, aujourd’hui, sont mis à l’écart par la communauté internationale, à savoir les anciens présidents Bozizé et Djotodia, les chefs de l’ex-Séléka et des anti-balaka, on n’y arrivera pas. Si parmi eux il y a des gens qui ont du sang sur les mains, laissons du temps au temps. Inutile de créer une juridiction pour cela : les victimes pourront toujours porter plainte et obtenir gain de cause, comme cela s’est produit au Tchad avec les agents de l’ex-DDS du temps de Hissène Habré. La réconciliation nationale est un préalable. Sans cela, l’essentiel du territoire centrafricain restera sous la coupe de bandes armées." Une vision en profonde rupture avec les Nations unies et les gouvernements occidentaux qui ont mis l'accent à la lutte contre l’impunité en Centrafrique, notamment à travers la Cour pénale spéciale (CPS), qui est en train de se mettre lentement en place au sein du système judiciaire national.
Pour Joseph Bindoumi, président du Comité de suivi du Forum de Bangui, ces tentatives discrètes seraient le fait de certains gouvernements africains.
« Nous, au niveau du comité de suivi, nous avons répondu de la façon suivante : la Forum de Bangui a dit que l’impunité devait être zéro en République centrafricaine », a déclaré Bindoumi qui était l’invité de notre partenaire Radio Ndeke Luka, le 5 mai. « Le Forum de Bangui de Bangui a sorti une autre recommandation pour dire que lorsqu’on veut se réconcilier, il faut commencer par passer devant les juges pour ceux qui sont soupçonnés d’avoir commis des actes de violations graves et systématiques des droits de l’homme », a poursuivi Bindoumi, qui est également président de la Ligue centrafricaine des droits de l’homme.
L’activiste centrafricain a rappelé que « toutes les entités » centrafricaines ayant participé à ce grand rendez-vous national partageaient le constat selon lequel « c’est l’impunité qui encourage la violence » dans le pays. Etonné que l’Union africaine, qui a participé au Forum de Bangui, « demande aujourd’hui une loi d’amnistie », le président du Comité de suivi a cependant conclu sur une note d’espoir. « Nous pensons que les institutions internationales qui ont tenté cette option vont certainement se rétracter et laisser la République centrafricaine continuer » sur la voie tracée par le Forum de Bangui.
« La justice maintenant »
Même préoccupation de la part de l’organisation Amnesty International, qui vient de lancer ce 11 mai, en partenariat avec des Ong de Centrafrique, une campagne baptisée « La justice maintenant : pour une paix durable en République centrafricaine ». La campagne devra durer jusqu’en novembre 2018.
« Les organisations de la société civile se regroupent afin de veiller à ce que les autorités de la RCA ne sous-estiment pas l'ampleur des souffrances et du désespoir que des milliers et des milliers de victimes ont endurées pendant ce conflit », a déclaré Olivia Tchamba, chargée de campagne sur l'Afrique centrale à Amnesty International.
Les organisateurs de cette campagne « demandent aux autorités centrafricaines de veiller à ce que les accusations sérieuses de crimes de droit international et d'autres atteintes aux droits humains fassent l'objet dans les plus brefs délais d'enquêtes rigoureuses, indépendantes et impartiales ». Amnesty International et ses partenaires locaux exigent par ailleurs « que les auteurs présumés de ces actes fassent l'objet d'enquêtes et soient jugés par le système judiciaire national, la Cour pénale spéciale ou la Cour pénale internationale dans le cadre de procès équitables et sans recours à la peine de mort ».
Cette campagne est lancée alors que se met progressivement en place la Cour pénale spéciale.
La loi créant cette Cour spéciale au sein du système judiciaire centrafricain a été promulguée en juin 2015 par la présidente de transition Catherine Samba-Panza. Le travail de la CPS sera complémentaire de celui de la CPI à laquelle le même gouvernement de Catherine Samba-Panza a déféré la situation en Centrafrique depuis août 2012. La nouvelle cour, qui sera composée de magistrats et de personnel nationaux et internationaux, a pour mandat de mener des enquêtes et des poursuites concernant les graves violations des droits humains perpétrées en Centrafrique depuis 2003.
Un procureur spécial, Toussaint Muntazini Mukimapa, de la République démocratique du Congo (RDC), a été déjà nommé ainsi qu’un procureur spécial adjoint et un substitut du procureur. Ont été également nommés quatre juges d'instruction et un juge à la chambre d'accusation.
Tous ces magistrats doivent prêter serment d’ici la fin du mois, selon le gouvernement centrafricain, qui estime que les travaux de la CPS vont s’ouvrir ensuite. Il faudra cependant attendre au moins un an pour assister aux premiers procès.
Depuis mars 2013, la Centrafrique est enlisée dans des violences intercommunautaires qui ont déjà fait des milliers de morts et près d’un million de personnes déplacées ou réfugiées sur une population 4,5 millions d’habitants.