OPINION

RCA : Les troupes ougandaises se sont rendues coupables d'exploitation sexuelle et de sévices, selon HRW

RCA : Les troupes ougandaises se sont rendues coupables d'exploitation sexuelle et de sévices, selon HRW©Lewis Mudge/Human Rights Watch
« Karine », une jeune fille de 15 ans vivant à Obo qui était enceinte de huit mois quand cette photo a été prise. Elle a déclaré à Human Rights Watch qu'un militaire ougandais l'avait payée 5 000 francs CFA (environ 8,30 dollars) pour être son « épouse » locale.
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(Nairobi) – Des militaires ougandais déployés en République centrafricaine ont sexuellement exploité ou abusé d’au moins 16 femmes et filles depuis 2015, notamment en commettant au moins un viol, et ont intimidé certaines de leurs victimes pour qu’elles gardent le silence, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Des troupes ougandaises sont déployées dans le pays depuis 2009 dans le cadre de la Force d’intervention régionale de l’Union africaine chargée d’éliminer le groupe rebelle ougandais Armée de résistance du Seigneur (Lord’s Resistance Army, LRA), mais l’Ouganda a récemment annoncé qu’il allait retirer ses troupes.

Human Rights Watch a interrogé 13 femmes et 3 jeunes filles en 2017 qui ont décrit des sévices ou des abus qu’elles ont subis depuis 2010 de la part de militaires ougandais dans la ville d’Obo, dans le sud-est de la République centrafricaine, où les forces ougandaises étaient basées, et a recueilli des récits crédibles concernant d’autres cas. Deux de ces femmes étaient mineures lorsque cette exploitation sexuelle ou ces abus ont eu lieu. Deux femmes et une fille ont affirmé que les militaires les avaient menacées de représailles si elles dénonçaient ces abus aux enquêteurs ougandais ou à ceux des Nations Unies.« Alors que les opérations militaires contre la LRA touchent à leur fin, l’armée ougandaise ne devrait pas ignorer les accusations de sévices sexuels et de viol portées contre ses militaires en République centrafricaine », a déclaré Lewis Mudge, chercheur auprès de la division Afrique de Human Rights Watch. « Les autorités ougandaises et de l’Union africaine devraient effectuer des enquêtes appropriées, punir les responsables et s’assurer que les femmes et les filles qui ont subi des abus ou des sévices sexuels bénéficient des services dont elles ont besoin. »Quinze de ces femmes et filles ont affirmé qu’elles s’étaient retrouvées enceintes, mais dans chaque cas le militaire responsable de leur grossesse avait quitté le pays et ne leur avait fourni aucune aide.Il est clair que ces 16 cas documentés par Human Rights Watch sous-représentent l’ampleur réelle du problème de l’exploitation et des abus sexuels commis par les forces ougandaises, non seulement parce que les violences sexuelles sont souvent passées sous silence mais aussi parce que d’autres acteurs, notamment les Nations Unies et des prestataires de services de santé locaux, ont documenté d’autres cas, a affirmé Human Rights Watch. En République centrafricaine, il est fréquent que les femmes et les filles ne signalent pas des violences ou des sévices sexuels qu’elles ont subis, en raison de la honte et du rejet de la communauté qui s’y attachent, ou par peur de représailles.

 

En 2016, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a fait état de 14 cas de viol par des militaires ougandais déployés en République centrafricaine, y compris des cas dans lesquels les victimes étaient des enfants au moment des faits. Quatre de ces cas sont parmi ceux que Human Rights Watch a documentés.

Selon un rapport interne des Nations Unies datant de 2016 que Human Rights Watch a consulté, les enquêteurs de l’ONU à Obo ont répertorié 18 cas de violences ou de harcèlement sexuels commis par des militaires ougandais contre des femmes et des filles qui avaient peur de donner des détails car elles craignaient des représailles. Ce rapport mentionne que les enquêteurs ont également obtenu des informations au sujet de 44 femmes et filles qui ont eu des enfants conçus par des militaires ougandais. L’équipe de l’ONU a interrogé 12 d’entre elles, toutes mineures.

En janvier 2017, la BBC a fait état de cas de viol commis par des militaires ougandais en République centrafricaine, dont celui d’une fillette de 12 ans qui a par la suite donné naissance à un bébé. L’armée ougandaise a déclaré à l’époque qu’elle avait effectué une enquête à Obo et n’avait trouvé aucune preuve d’actes répréhensibles.

Human Rights Watch a soumis le 20 avril au ministère ougandais de la Défense et des anciens combattants une liste de questions concernant ces allégations, y compris au sujet d’éventuelles enquêtes ou mesures disciplinaires, mais le ministère n’a pas répondu. 

Plusieurs femmes et filles ont déclaré à Human Rights Watch que des enquêteurs de l’armée ougandaise les avaient interrogées au cours de l’année écoulée, mais qu’il n’y avait eu aucun suivi et qu’elles n’avaient aucune information au sujet de l’enquête.

Deux organisations locales, un responsable religieux et un journaliste basés à Obo ont également affirmé à Human Rights Watch que les forces ougandaises les avaient mis en garde contre l’idée de faire état de cas d’exploitation et d’abus sexuels.

La victime de viol interrogée par Human Rights Watch, âgée de 15 ans et prénommée « Marie », a affirmé qu’un militaire ougandais l’avait agressée en janvier 2016 alors qu’elle travaillait dans les champs à proximité de la base ougandaise située près de la piste d’atterrissage d’Obo. « Cet homme était seul … Je ne comprenais pas ce qu’il disait », a-t-elle dit. « Il m’a plaquée au sol [et m’a violée]. Après, j’avais vraiment mal. »

« Marie » s’est trouvée enceinte après ce viol et a accouché en novembre 2016.

Quinze des femmes et filles interrogées ont déclaré avoir eu des relations sexuelles avec des militaires ougandais en échange de nourriture ou d’argent, parce que le conflit qui se poursuit en République centrafricaine et leur déplacement forcé les avaient plongées dans la misère. Plusieurs d’entre elles ont indiqué que les militaires ougandais leur avaient offert nourriture et argent pour être leurs « épouses locales », ce qui impliquait avoir des relations sexuelles avec eux et s’acquitter de tâches ménagères. Quatorze de ces femmes et filles ont eu un enfant dont le père est un militaire ougandais. Toutes ont affirmé n’avoir reçu aucune aide de la part du militaire, et la plupart ont déclaré que leur situation sociale et économique s’était détériorée après la naissance de leur enfant.

Le viol, les relations sexuelles tarifées en échange d’argent, de biens ou de services, et les relations sexuelles avec des mineur(e)s de moins de 18 ans pratiqués par des militaires, des policiers ou des civils de l’Union africaine (UA) sont considérés comme des actes d’exploitation et des abus sexuels et sont interdits par l’UA. Celle-ci a proclamé une politique de tolérance zéro pour de tels actes.

Les femmes et filles, les prestataires de services de santé et les responsables locaux interrogés par Human Rights Watch à Obo ont affirmé qu’il était de notoriété publique dans la communauté que les militaires ougandais payaient pour avoir des relations sexuelles, et que des femmes et des filles se rendaient fréquemment en visite à la base militaire proche de la piste d’atterrissage. « Je pouvais passer la nuit à la base, il n’y avait pas de problème », a déclaré « Karine », une jeune fille de 15 ans rendue enceinte en 2016 par un militaire ougandais.

Le 19 avril 2017, le ministère ougandais de la Défense a annoncé le retrait de ses troupes de République centrafricaine, estimant que « la mission consistant à neutraliser la LRA a atteint son but. » Les forces ougandaises pourraient rejoindre la mission de maintien de la paix de l’ONU dans le pays, la MINUSCA, pour poursuivre certaines opérations contre la LRA, a ajouté le ministère.

La MINUSCA ne devrait pas envisager d’accepter des troupes ougandaises au sein de la mission de l’ONU avant que les allégations d’exploitation et d’abus sexuels n’aient fait l’objet d’enquêtes crédibles et que les auteurs d’abus n’aient été amenés à rendre des comptes, a déclaré Human Rights Watch.

Pendant leur déploiement à Obo, les forces ougandaises ont reçu une assistance dans les domaines logistique et du renseignement de la part des États-Unis. Le gouvernement américain devrait conditionner tout futur soutien à l’armée ougandaise à l’ouverture dans les plus brefs délais par l’Ouganda d’enquêtes approfondies sur ces allégations d’exploitation et d’abus sexuels en République centrafricaine et à la punition des responsables, entre autres préoccupations, a ajouté Human Rights Watch.

Les autorités ougandaises et de l’UA devraient faire de la sécurité et du bien-être des victimes une priorité dans leur réponse aux actes d’exploitation et aux abus sexuels, a poursuivi Human Rights Watch. Ceci devrait inclure des mesures afin d’assurer la sécurité des victimes, de préserver la confidentialité de chaque cas afin de réduire les risques de stigmatisation, de minimiser le traumatisme causé par des interrogatoires multiples, de leur assurer un accès en temps approprié à des soins médicaux et psychiatriques, ou psychosociaux, et de fournir un soutien socio-économique aux victimes abandonnées avec des enfants dont les géniteurs sont des militaires ougandais.

Les forces de l’UA en République centrafricaine ont commis d’autres crimes graves en toute impunité ces dernières années. En juin 2016, Human Rights Watch a publié des informations sur les meurtres d’au moins 18 personnes, dont des femmes et des enfants, par des militaires chargés du maintien de la paix originaires de la République du Congo. À l’époque, ces militaires congolais de maintien de la paix étaient sous l’autorité de la mission de l’UA en République centrafricaine, qui s’appelait la MISCA. L’UA a préparé un rapport interne sur ces meurtres mais elle n’en a pas publié les conclusions.

« L’Union africaine, ainsi que les pays qui lui fournissent des troupes, devraient faire preuve d’une totale détermination à punir l’exploitation et les abus sexuels dans les zones de déploiement de leurs troupes », a affirmé Lewis Mudge. « Ils doivent faire respecter la politique de tolérance zéro et empêcher que des abus soient commis à l’encontre des populations que ces missions sont chargées de protéger. »

La lutte contre la LRA

En 2011, le Conseil de paix et de sécurité de l’UA a autorisé la création de l’Initiative de coopération régionale pour l’élimination de la LRA (ICR-LRA), dont la composante militaire était la Force régionale d’intervention (FRI). Les forces opérationnelles de la FRI ont été fournies pour l’essentiel par l’Ouganda. Environ 1 500 membres des forces militaires ougandaises ont été déployés en République centrafricaine.

Les États-Unis ont annoncé, en octobre 2011, l’envoi de 100 membres de leurs Forces spéciales comme conseillers militaires auprès de l’armée ougandaise et d’autres forces armées de la région, afin d’aider à la capture des chefs de la LRA. Ces dernières années, alors que les groupes affiliés à la LRA se sont déplacés, presque tous les conseillers militaires américains et les membres des forces armées ougandaises impliqués dans ces opérations étaient basés dans le sud-est de la République centrafricaine, leur quartier général se trouvant à Obo.

Les forces ougandaises et américaines ont annoncé qu’elles allaient cesser de participer à cette mission dans les prochains mois.

Exploitées sexuellement et violées

Human Rights Watch a documenté le viol d’une jeune fille (âgée de 15 ans) et 15 cas d’exploitation sexuelle par les forces armées ougandaises, dont deux cas dans lesquels les victimes sont mineures et deux autres dont les victimes étaient mineures au moment des faits.

Treize de ces cas se sont produits après 2015, le plus récent datant de fin 2016. Quinze des 16 victimes ont par la suite donné naissance à des enfants, dont deux qui étaient âgées de 17 ans lorsqu’elles sont tombées enceintes. 

« Marie », la victime de viol âgée de 15 ans, a déclaré à Human Rights Watch que son agresseur était un militaire basé à Obo. « C’était un homme jeune, » a-t-elle dit. « Ce soldat m’a violée et maintenant, il m’est difficile de penser à ce qui s’est passé. Ce n’était pas bien et j’y repense souvent. »

« Marie » a pu accéder à certains soins médicaux après l’agression, mais personne ne lui a fourni d’informations sur les possibilités d’accès à un avortement après qu’elle ait appris qu’elle était enceinte (voir ci-dessous). Elle a donné naissance à un enfant en novembre 2016.

Parmi les cas sur lesquels l’ONU a enquêté, selon un rapport interne de l’organisation que Human Rights Watch a consulté, l’un concernait une fillette de 13 ans qui a été « violée à deux reprises par des militaires de l’UPDF [les forces armées ougandaises] à Obo, une première fois en août 2015 et une seconde fois le 20 mai 2016. »

Une femme de 25 ans, « Blandine », a déclaré qu’elle avait estimé n’avoir pas d’autre choix que de devenir une « épouse » ougandaise, parce qu’un militaire lui donnait entre 3 000 et 5 000 francs CFA par semaine (environ 5 à 8,30 dollars US) en échange. « J’avais besoin de cet argent », a-t-elle dit. « Je suis une paysanne et je suis pauvre. Je ne suis allée à l’école que quelques années … Avec cet argent, je pouvais acheter de la nourriture et faire quelques petites affaires. »

Une femme de 28 ans, « Margaret », a déclaré qu’elle n’avait pas non plus été capable de refuser l’argent que lui offrait un militaire ougandais. « Il me donnait 1 000 francs CFA (environ 1,60 dollar) ou un peu de nourriture après un rapport sexuel. C’était un sachet de semoule de maïs ou parfois du chou ou des tomates », a-t-elle déclaré. « J’ai commencé cette relation avec [lui] parce que j’avais besoin de cette petite somme d’argent qu’il me donnait, c’est tout. »

« Francine », 23 ans, a indiqué qu’elle avait eu des relations sexuelles avec un militaire ougandais pendant deux ou trois mois en 2015 parce qu’il lui donnait de la nourriture et de l’argent. « Il cherchait une femme avec qui il pourrait avoir des rapports sexuels mais il ne voulait pas en avoir beaucoup [de femmes], de crainte d’attraper le sida », a-t-elle dit. « Il disait qu’il me donnerait 10 000 francs CFA (environ 16,70 dollars) pour que je sois sa femme. »

« Francine » a souligné combien ce genre d’exploitation était répandu en ville. « Tous les Ougandais font cela », a-t-elle affirmé. « Ils n’ont pas besoin de s’en cacher car c’est tout à fait normal. »

Exploitées et abandonnées

Sept femmes et une jeune fille ont déclaré qu’elles connaissaient le nom du militaire ougandais qui les avaient payées pour des relations sexuelles, mais pas les autres. Aucune des 15 femmes ou jeunes filles qui ont eu un enfant en conséquence de leur exploitation sexuelle ne savait comment contacter le militaire qui l’avait abandonnée.

« Claire », 25 ans, a déclaré qu’alors qu’elle était enceinte de six mois, le militaire ougandais qui l’avait inséminée lui avait dit qu’il allait partir le lendemain. « Il a refusé de me donner son numéro de téléphone en Ouganda », a-t-elle dit. « Quand j’ai insisté, il a dit: ‘Pourquoi? Pour que tu m’appelles et que tu m’ennuies ?’ »

« Margaret » a déclaré que le père ougandais de son enfant, né début 2015, avait refusé de lui donner son numéro de téléphone en Ouganda. « Non, l’enfant, c’est un cadeau que je te fais », lui-a-t-il dit selon elle. « Ce sera un souvenir de moi. »

Six femmes et filles ont affirmé que les militaires ougandais leur avaient promis de les emmener en Ouganda pour une vie meilleure si elles acceptaient de se comporter comme leur « épouse » en République centrafricaine.

Une femme de 25 ans, mère d’un enfant engendré par un militaire ougandais, « Claude », a déclaré qu’un soldat ougandais l’avait convaincue de devenir sa « femme » en 2014. « Il a dit qu’il m’épouserait et m’emmènerait en Ouganda si j’acceptais d’être sa ‘femme’ », a-t-elle affirmé. « Il m’a dit qu’il me donnerait ce que je voudrais et ce dont j’aurais besoin comme étant son ‘épouse,’ et donc j’ai accepté. »

« Rebecca », âgée de 22 ans, a déclaré avoir accepté d’être l’« épouse » d’un militaire ougandais quand elle avait 17 ans. « Il m’a abusée en me disant qu’il m’emmènerait en Ouganda comme sa femme – et je l’ai cru », a-t-elle dit. « J’étais jeune et bête. Nous sommes restés ensemble pendant un an. Parfois il venait chez moi, parfois c’est moi qui allais à la base. » « Rebecca » n’avait que 17 ans quand elle a eu un enfant de ce soldat.

Une jeune femme de 21 ans, « Alphonsine », a déclaré qu’un militaire ougandais lui avait fait miroiter de l’argent, de la nourriture et une maison en Ouganda. Sur une période de cinq ans, ils ont eu deux enfants ensemble. Puis il les a abandonnés tous les trois en novembre 2015 quand il est rentré en Ouganda. « Je pense à ma situation et à la manière dont j’ai été abusée », a-t-elle dit. « Maintenant, c’est très difficile pour moi de trouver de l’argent pour acheter de la nourriture et du savon. » 

« Jeannette », âgée de 30 ans et qui a eu un enfant d’un militaire ougandais en 2015, a déclaré qu’elle avait eu des relations sexuelles avec lui parce qu’elle avait besoin d’argent et de nourriture. « Maintenant, j’ai besoin d’encore plus d’argent et de nourriture, parce que je dois aussi nourrir et habiller cet enfant », a-t-elle dit.

Services aux victimes

La plupart des femmes et des filles interrogées par Human Rights Watch n’avaient pas pu recevoir de soins médicaux ou psychosociaux.

« Marie », la victime de viol, a pu accéder à des soins médicaux cruciaux après une agression sexuelle quelques jours après avoir été attaquée. Elle a subi un test de dépistage du sida et d’autres infections sexuellement transmissibles. En revanche, personne ne lui a fourni d’informations sur les possibilités d’accès à un avortement après qu’il ait été établi qu’elle était enceinte.

Huit femmes ont affirmé que les militaires ougandais avec qui elles avaient des relations sexuelles leur avaient donné des sommes d’argent, allant de 1 000 à 30 000 francs CFA (de 1,60 à 50 dollars environ), pour recevoir des soins médicaux pendant leur grossesse. Mais toutes ont assuré que ce n’était pas suffisant pour payer les multiples examens de contrôle nécessaires lors d’une grossesse et qu’elles avaient dû soit trouver de l’argent ailleurs, soit renoncer à certaines de ces consultations.

Aucune n’avait reçu d’assistance psychosociale pour pouvoir mieux faire face au traumatisme subi, malgré la présence d’au moins une organisation internationale qui offre ce genre de service. Les femmes et les filles interrogées par Human Rights Watch ont déclaré ignorer l’existence de ce service.

De même, aucune n’avait reçu d’assistance sociale ou économique de la part de l’UA ou d’autres organisations. Plusieurs d’entre elles ont évoqué le sentiment de honte qui, au sein de leurs communautés, est associé au fait d’avoir un « bébé ougandais. »  Cette stigmatisation peut conduire à créer des besoins socio-économiques accrus. « Les gens du quartier appellent mon enfant ‘l’Ougandaise’ », a déclaré Rebecca. « Les autres enfants se moquent d’elle et lui disent que je suis la femme abandonnée d’un Ougandais. »

Les enquêtes ougandaises

Les enquêteurs militaires ougandais ont interrogé plusieurs victimes au cours des douze derniers mois, mais celles-ci ont affirmé n’avoir eu aucune nouvelle communication avec les enquêteurs depuis ces entretiens et n’être pas au courant d’un éventuel suivi. Les femmes et les filles ont indiqué n’avoir aucun moyen de contacter les enquêteurs.

Human Rights Watch a envoyé une lettre au ministère ougandais de la Défense le 20 avril, demandant, entre autres questions, quelles mesures le ministère avait prises pour enquêter sur ces allégations. Le ministère n’a pas répondu.

Un porte-parole militaire ougandais, le brigadier général Richard Karemire, a affirmé en janvier à la BBC que les enquêteurs militaires s’étaient rendus à Obo mais n’avaient trouvé aucune preuve d’actes répréhensibles. « Une équipe s’est rendue sur le terrain et a effectué une très bonne enquête, et elle n’a rien trouvé qui soit réellement de nature à impliquer des membres des UPDF [les forces armées ougandaises] dans la commission de tels crimes », a-t-il déclaré.

Menaces pour réduire les victimes au silence

Deux femmes et une jeune fille qui ont été exploitées sexuellement ont affirmé que les militaires ougandais les avaient mises en garde contre la tentation de parler à des enquêteurs cherchant à instruire des cas d’exploitation sexuelle et d’abus. « Claire » a déclaré que des militaires ougandais l’avaient approchée en 2016, avant l’arrivée à Obo des enquêteurs ougandais. « Les militaires sont venus à mon domicile et m’ont conseillé de dire que mon enfant était centrafricain », a-t-elle dit. « Ils m’ont dit: ‘Ne dis pas que le garçon est ougandais ou cela va te créer des problèmes. Ce sera mauvais.’ J’ai répondu: ‘Comment cela peut-il empirer? J’ai été abandonnée sans rien, de toute façon.’ »

« Karine », la jeune fille de 15 ans qui a été exploitée sexuellement et abandonnée alors qu’elle était enceinte, a affirmé que des militaires ougandais l’avaient mise en garde contre l’idée de parler aux enquêteurs ougandais. Elle a décidé de leur parler quand même parce qu’elle avait été abandonnée alors qu’elle était enceinte et estimait qu’elle n’avait plus rien à perdre.

Le rapport interne de l’ONU que Human Rights Watch a pu consulter affirme que les enquêteurs onusiens à Obo ont répertorié 18 cas de violence sexuelle ou de harcèlement sexuel par les militaires ougandais, contre des femmes et des filles qui craignaient trop des représailles de la part des militaires ougandais pour décrire en détail ce qui leur était arrivé. Deux organisations locales, un responsable religieux et un journaliste à Obo ont également affirmé que les forces ougandaises les avaient découragés de faire état de cas d’exploitation sexuelle et d’abus. Le dirigeant religieux a déclaré: « Les Ougandais sont ici pour nous protéger, mais ils peuvent aussi nous menacer. Ils savent qu’ils ne sont pas censés [avoir des relations sexuelles avec des membres de la communauté] et ils ne veulent pas que les gens en parlent aux journalistes. »

La République centrafricaine n’est pas le seul pays où des militaires ougandais ont violé et exploité des femmes et des filles alors qu’ils appartenaient à une mission de l’UA. En 2014, Human Rights Watch a documenté que des militaires ougandais et burundais de la mission de l’UA en Somalie, l’AMISOM, avaient commis des actes d’exploitation sexuelle et des abus à l’encontre de femmes, et notamment violé des femmes qui venaient chercher de l’eau ou de l’assistance médicale dans les bases de l’AMISOM. Certaines femmes ont déclaré qu’elles n’avaient pas fait état de ces abus car elles craignaient des représailles de la part de leurs agresseurs. Human Rights Watch a précédemment exprimé des inquiétudes auprès du ministère ougandais de la Défense concernant des allégations similaires contre des troupes ougandaises déployées en République démocratique du Congo en 2011.

Les mesures de l’UA pour lutter contre l’exploitation sexuelle et les abus

L’ONU définit l’exploitation sexuelle comme étant « le fait d’abuser ou de tenter d’abuser d’un état de vulnérabilité, d’un rapport de force inégal ou de rapports de confiance à des fins sexuelles, y compris mais non exclusivement en vue d’en tirer un avantage pécuniaire, social ou politique ». L’ONU entend par « abus sexuel » toute atteinte sexuelle commise avec force, contrainte ou à la faveur d’un rapport inégal, la menace d’une telle atteinte constituant aussi l’abus sexuel.

En septembre 2014, Human Rights Watch a documenté dans un rapport 21 cas de viol ou d’exploitation sexuelle par des militaires ougandais et burundais affectés à la mission de l’UA en Somalie, l’AMISOM. À la suite de ce rapport, l’UA a envoyé une commission d’enquête indépendante en Somalie. Dans leur rapport final, ces enquêteurs ont recommandé que la Commission de l’UA crée un Bureau des services de contrôle interne doté de responsabilités similaires à celle du Bureau de l’ONU du même nom qui est habilité à enquêter, soumettre des rapports et recommander des mesures lorsque des militaires de maintien de la paix de l’ONU sont accusés d’avoir commis des abus. L’ONU a adopté une politique concernant le comportement de ses Casques bleus, qui interdit à ceux-ci toute relation sexuelle avec des membres de la communauté locale. L’UA devrait créer un organe indépendant permanent et doté d’une formation et de ressources adéquates, qui serait chargé d’enquêter sur les allégations d’actes répréhensibles et d’abus, y compris d’exploitation sexuelle et d’abus sexuels, a déclaré Human Rights Watch.

En dépit du fait que de telles allégations ont été faites dans le passé, l’UA ne s’est pas dotée d’une politique globale régissant le comportement et la discipline de ses fonctionnaires ou de ses militaires de maintien de la paix et sanctionnant ceux qui commettent des actes d’exploitation sexuelle et des abus. Elle travaille actuellement à l’élaboration d’un cadre stratégique qui inclura la prévention des actes d’exploitation sexuelle et des abus, des directives sur la manière de répondre aux allégations concernant d’autres types d’infraction, ainsi qu’une politique vis-à-vis des lanceurs d’alerte. On ignore encore si ce cadre politique résultera en la création d’un mécanisme indépendant d’enquête, inspiré du bureau de l’ONU comme le recommande le rapport des enquêteurs de l’UA en Somalie.

L’ONU considère le viol, les relations sexuelles tarifées en échange d’argent, de biens ou de services, et les rapports sexuels avec quelque personne de moins de 18 ans, auxquels se livreraient des membres des personnels civils, militaires ou de police de l’ONU, comme constituant des actes d’exploitation sexuelle et des abus sexuels, qui sont interdits par l’Organisation. L’ONU professe une politique de tolérance zéro pour l’exploitation et les abus sexuels. Il y a eu dans le passé de nombreuses allégations d’abus de ce type contre des personnels de maintien de la paix de l’ONU en République centrafricaine, y compris dans des cas documentés par Human Rights Watch en février 2016.

Le Bulletin de 2003 du Secrétaire général de l’ONU sur la protection contre l’exploitation et les abus sexuels souligne que l’exploitation se produit généralement dans des situations dans lesquelles des femmes et des filles sont vulnérables et placées dans un rapport de force inégal.

Autres abus commis par des militaires de maintien de la paix de l’Union africaine en République centrafricaine

Human Rights Watch a fait état dans des rapports d’autres crimes graves commis par des troupes affectées aux efforts de maintien de la paix de l’UA en République centrafricaine. En juin 2014, Human Rights Watch a publié des informations sur les meurtres d’au moins 11 personnes, dont des femmes et des enfants, à Boali en mars 2014, et sur la mort sous la torture de deux autres personnes à Bossangoa en décembre 2013.

En juin 2016, Human Rights Watch a publié un autre rapport sur les meurtres de Boali, soulignant la découverte d’une fosse commune contenant les restes de 12 personnes identifiées comme ayant été arrêtées par les militaires de maintien de la paix en mars 2014, ainsi que de deux détenus exécutés à Mambéré en février 2014.

Ces meurtres de Boali, de Bossangoa et de Mambéré ont été commis par des militaires de maintien de la paix originaires de la République du Congo placés sous le commandement de la mission de l’UA connue sous son acronyme, la MISCA.

À la suite de l’exhumation de la fosse commune à Boali, Human Rights Watch avait écrit au président de la République du Congo, Denis Sassou Nguesso, et à l’UA, les exhortant à ouvrir des enquêtes crédibles et à traduire les responsables en justice. Human Rights Watch n’a jamais reçu de réponse.

En 2015, des membres du personnel de la représentation permanente de l’UA en République centrafricaine ont parlé à Human Rights Watch de l’existence d’un rapport de l’UA sur les meurtres de Boali. En dépit de plusieurs demandes officielles déposées en 2015, en 2016 et en 2017, Human Rights Watch n’a jamais pu consulter ce rapport ni été officiellement informé de son contenu. 

 

Cet article a été précédemment publié par Human Rights Watch.