L’International Crisis Group (ICG) vient de publier son nouveau rapport sur le premier pays du « Printemps arabe » intitulé : « La transition bloquée : corruption et régionalisme en Tunisie ». Il y alerte sur les dangers qui menacent un pays impuissant devant la déliquescence de l’Etat et face à la dangereuse propagation de la corruption.
L’International Crisis Group (ICG) est une ONG, qui se rapproche d’un laboratoire d’idées basé en Belgique. Elle a élaboré depuis la révolution tunisienne de janvier 2011 plusieurs analyses sur les enjeux politiques et économiques qui traversent le premier pays du « Printemps arabe », dont « L’exception tunisienne : succès et limites du consensus » (2014), « La Tunisie des frontières : terrorisme et polarisation régionale »(2014) et « Elections en Tunisie : vieilles blessures, nouvelles craintes » (2015). En 2016, International Crisis Group publiait un rapport intitulé : « Tunisie : justice transitionnelle et lutte contre la corruption ». Michaël Bechir Ayari, sociologue et analyste principal pour la Tunisie auprès de l’ICG y soulignait tout l’impact positif du projet de loi relatif à la réconciliation économique sur l’administration : « Ce projet a le mérite de mettre en avant la situation des hauts cadres de l’administration, bloqués ou mis au frigo pour les soupçons de malversations qui pèsent sur eux depuis plus de cinq ans », déclarait-il dans une interview à Justiceinfo.net.
L’ONG, réitère son intérêt pour le thème de la corruption en publiant ces jours-ci une étude sur : « La transition bloquée : corruption et régionalisme en Tunisie ». Si la mention du si polémique projet de loi, qui continue à être débattu au Parlement, à été quasiment éludée dans ce rapport, ainsi que la référence au projet de l’Instance Vérité et Dignité (IVD) de filtrage et de réforme des institutions, les auteurs du document soulignent la prégnance des discriminations socio-régionales, en particulier dans le domaine de l’entrepreneuriat. Ils focalisent leur travail, particulièrement sur « le rôle des « hommes de l’ombre » ainsi que le fonctionnement clientéliste de l’Etat et de la société ».
Lorsque 300 « hommes de l’ombre » bloquent les réformes
Selon le rapport publié le 10 mai, la Tunisie entre désormais dans une zone de turbulence, dangereuse et de plus en plus opaque. La recherche de consensus permanent entre les deux grands partis, Nida Tounes (fondé en 2012 par le président de la République, Béji Caied Essebsi) et les islamistes d’Ennahda, en place depuis les scrutins législatifs et présidentiels de fin 2014 paralyse le système. La quête de compromis s’est transformée en tractations politiques informelles, dans lesquelles « 300 hommes de l’ombre » qui se recrutent dans le milieu des affaires « tirent les ficelles en coulisse pour défendre leurs intérêts », notent les auteurs du rapport. Ces hommes empêchent toute réforme. En fait, tant les opérateurs économiques du Sahel (région côtière de l’Est du pays), établis depuis des décennies, que les nouveaux entrepreneurs des régions intérieures, les barons de l’informel, qui ont prospéré après la révolution en partie grâce au trafic de change parallèle et à la contrebande avec la Libye et l’Algérie, financent les partis politiques et se livrent une guerre sans merci. Notamment en cherchant à s’accaparer les postes clés de l’administration par les quels passent les crédits bancaires et le contrôle de l’économie formelle et contribuant ainsi à « briser la chaine de commandement au sein des départements ministériels », analysent les auteurs de « La transition bloquée… ».
Depuis la chute du régime autoritaire du président Ben Ali, qui limitait les affaires juteuses à un cercle restreint, celui de la famille présidentielle, la corruption s’étend, se décentralise et se démocratise, alimentée par l’apparition de nombreux marchés lucratifs. D’après l’ICG, en Tunisie, tous les secteurs vitaux sont gangrénés par la corruption et notamment le ministère de l’Intérieur, les douanes et la justice.
Réduire le pouvoir discrétionnaire des fonctionnaires
Le rapport émet plusieurs recommandations à l’adresse du gouvernement dont la nécessité de « doter l’Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc) de ressources suffisantes sur le plan humain et financier pour mettre en œuvre sa stratégie ».
D’autre part, le Parlement devrait, selon l’International Crisis group « réduire le pouvoir discrétionnaire des responsables administratifs, qui entretient clientélisme et corruption et est en partie responsable de la fermeture de l’accès au crédit et au marché pour les entrepreneurs des régions déshéritées. Pour ce faire, il devrait simplifier autant que possible les formalités administratives dans le domaine économique et éliminer les dispositifs juridiques trop répressifs et privatifs de liberté ».
L’ICG appelle le gouvernement et le parlement à contraindre les partis politiques à soumettre leur rapport financier annuel à la Cour des comptes. Il incite les députés à présenter leur déclaration du patrimoine. Des mesures susceptibles d’affaiblir les réseaux clientéliste, selon les auteurs de l’étude.
« Il est désormais indispensable d’entamer un large dialogue économique national, suivi et approfondi, afin d’ouvrir la voie à des réformes à même de mettre fin à ce système », conclue le rapport.