Le procès de Bosco Ntaganda a repris le 29 mai devant la Cour pénale internationale (CPI) avec la présentation de la thèse de la défense. L’ancien chef de milice répond de 18 chefs d’accusation pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis en Ituri, dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), en 2002 et 2003. Depuis le début du procès, en septembre 2015, le procureur a appelé 71 témoins à la barre. La parole est désormais à la défense, qui entend convoquer plus de cent témoins, dont l’accusé.
Bosco Ntaganda est bien décidé à témoigner, mais rien n’indique que l’ex milicien congolais passera véritablement aux aveux. A partir du 14 juin, l’ancien chef d’Etat-major en second de l’Union des patriotes congolais (UPC) devrait prendre place à la barre des témoins de la Cour pénale internationale. Pour cette seconde étape du procès, ses avocats ont annoncé l’audition de 113 témoins, dont celle de l’accusé. Présenté par le procureur comme « le cerveau » de l’UPC, Bosco Ntaganda avait, dès sa première comparution à La Haye en mars 2013, accusé « le gouvernement congolais » d’avoir « initié la guerre en Ituri en août 1998 », par un communiqué « appelant à tuer tous les tutsis et ceux qui leur ressemblent ». Mais si les premières paroles de Bosco Ntaganda à la Cour accusaient Kinshasa, elles ne disaient rien du rôle de l’Ouganda et du Rwanda dans leur soutien aux milices de l’Est du Congo, qui sous couvert de tensions ethniques, ont pillé les sous-sols du pays. Ses déclarations n’étaient-elles que la répétition de sa déposition à venir ? Ou évoquera-t-il aussi le rôle de l’Ouganda et du Rwanda, où résiderait toujours sa famille ?
Dix-huit chefs d’accusation
Né au Rwanda, mais exilé dans l’Est du Congo dès l’enfance, Bosco Ntaganda avait très tôt répondu à l’appel du Front patriotique rwandais (FPR), la rébellion qui devait s’emparer du pouvoir à Kigali en juillet 1994. Le jeune milicien avait ensuite poursuivi sa carrière au Kivu et en Ituri, au sein de groupes armés soutenus par le Rwanda. Accusé de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre pour son rôle au sein de l’UPC, « Terminator », de son nom de guerre, ne répond, devant la Cour, que de dix mois de guerre. Malgré un premier mandat d’arrêt émis par la Cour contre lui en aout 2006, Bosco Ntaganda circulait librement dans l’Est congolais, notamment dans le Kivu, jusqu’au début de l’année 2013. Alors lâché par son parrain rwandais, il décidait de se rendre, au terme d’intenses combats dont il sortait défait. Repassant la frontière, comme plusieurs centaines de miliciens, M. Ntaganda se rendait à l’ambassade des Etats-Unis à Kigali, en mars 2013, avant d’être transféré à La Haye. Depuis le 2 septembre 2015, ouverture de son procès, le procureur a appelé 71 témoins pour évoquer les meurtres, les attaques de civils et de biens protégés ; comme les écoles, les hôpitaux, les orphelinats, les Eglises ; les violences sexuelles, les pillages et l’enrôlement dans ses troupes d’enfants de moins de 15 ans. Le but, selon l’accusation : s’emparer de l’Ituri, et de ses sous-sols riches d’or, de diamants, de coltan.
Les massacres de Kobu, Sayo, Mongbwalu
Parmi ses témoins, le procureur a appelé de nombreux experts, d’anciens soldats de l’UPC et de nombreuses victimes. Elles ont raconté les batailles territoriales entre l’UPC et l’Armée populaire congolaise (APC), soutenue par Kinshasa, et le réveil des haines ethniques entre Hema et Lendu. L’un des témoins a ainsi raconté avoir perdu sa femme, son père et ses enfants lors de l’attaque de Kobu, alors qu’il était arrêté et battu. « Ma femme a été décapitée et il en a été de même de l’une de mes filles. Mon fils a également été décapité » avait-il raconté à la barre en novembre 2015, expliquant qu’il était alors impossible de compter les cadavres. Plus de cinquante personnes auraient été massacrées dans une plantation de bananes à Kobu, mais les expertises médico-légales, effectuées plusieurs années après les crimes, n’ont pas permis aux experts du procureur de confirmer les faits. Pas plus que les images satellitaires, dont celles de l’église du village de Sayo où des prisonniers avaient été gardés dans une fosse recouverte d’une plaque d’acier en février 2003. Sur la route menant la troupe à Mongbwalu, le témoin P017, son pseudonyme à la Cour, a expliqué avoir vu le cadavre d’une femme, devant le dispensaire du village de Sayo. « Il y avait le bruit d’un nourrisson qu’on entendait », a raconté cet ancien membre de l’UPC. « Cette femme venait d’accoucher ». En repassant devant le dispensaire, à la fin de l’attaque, le témoin se souvient avoir vu le corps du nouveau-né sur le sol. « Je ne sais pas comment ils l’ont fait, mais sur le mur, ce qui m’avait marqué, c’était qu’il y avait les traces de sang ». Sayo résiste, et Bosco « ordonne » de tirer. Des civils, femmes, enfants vieillards sont enfermés dans l’église. P017 se rappelle de Ntaganda insultant les prisonniers en kinyarwanda, puis affirme qu’ils ont été massacrés à l’arme blanche. A Mongbwalu, prise de haute lutte par l’UPC, le témoin se rappelle avoir vu dans la maison de Bosco Ntaganda du matériel médical. « C’était exposé devant sa maison », et « ça provenait de l’hôpital général de Mongbwalu ». Devenue la base de Bosco Ntaganda, la ville est décrite par un autre témoin comme « la région de l’Ituri où il y a le plus d’or. Tout le monde connait. Là où il y a l’or, il y a le business, il y a toutes sortes de trafics. » P017 se souvient les promesses des commandants pour motiver les soldats non payés à s’emparer de la ville : « Vous aurez de l’argent, vous allez dormir sur des matelas. Il y aura de la nourriture. Vous aurez des femmes ».
La défense de Ntaganda rejette les accusations de viols
Plusieurs témoins ont parlé des viols commis contre les jeunes recrues de l’UPC. P017 a ainsi évoqué Mave et Francine, deux escortes d’un commandant de l’UPC, avec lesquelles « il avait des relations sexuelles ». « Etaient-elles consentantes ? » s’est enquis le procureur. « Moi, je… j’avais plutôt pitié parce que je savais que ça ne pouvait pas être consenti, vu leur âge et leur taille, non. » Plusieurs victimes de viols sont venues déposées, mais la défense a demandé l’exclusion de plusieurs dépositions, estimant que M. Ntaganda n’était pas l’auteur direct de ces crimes. Pour les avocats, les viols ont été commis contre des membres d’un même groupe armé, et non contre des personnes protégées par les conventions de Genève. Ces crimes ne relèvent donc pas de crimes de guerre. La chambre d’appel n’a toujours pas rendu de décision sur cette question. Tango Romeo, nom de code radio de Bosco Ntaganda, avait, lui, pour escorte deux jeunes hommes. L’un de très rares témoins à avoir déposé à visage découvert, a évoqué l’âge des enfants enrôlés au sein de l’UPC. Désiré Dudunyabo Tandana, inspecteur des écoles de Bunia, avait déjà déposé contre Thomas Lubanga, le chef de l’UPC, condamné à 14 ans de prison. « Le garde du corps avait la chance d’être bien entretenu, a expliqué à la barre P017, leurs uniformes étaient modifiés par des tailleurs. Mais ceux qui étaient dans les unités, ils le pliaient seulement à maintes reprises, ils le pliaient à maintes reprises. » Manches retroussées, nageant dans des treillis trop grands, les enfants enrôlés sont envoyés au front, diront plusieurs témoins.
Procès secret
Au cours du procès, et à l’exception des experts, seuls deux témoins ont déposé nommément. Les autres ont déposé sous pseudonyme et pour beaucoup, leur visage a été caché du public. De larges extraits de dépositions ont été entendus à huis clos, ne permettant pas d’avoir une image claire des preuves apportées par l’accusation. Mais des éléments publics du procès, il ressort que l’accusation n’a pas apporté d’éléments sur les responsabilités ougandaises et rwandaises dans la guerre de l’Ituri. Comme lors des précédents procès contre Thomas Lubanga, Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo, les conflits de l’Est congolais sont circonscrits à leur seule dimension ethnique. La CPI n’offrira qu’un regard partiel sur cet épisode de la guerre en Ituri qui selon l’accusation aurait fait près de 5000 morts et 600 000 déplacés. Les trois juges du procès ont refusé, à deux reprises, de se rendre sur les sites des crimes.
Interférences sur le procès
Après l’audition des témoins du procureur, les avocats de M. Ntaganda ont demandé aux juges de se prononcer sur la première étape du procès, de dire quels chefs d’accusation pouvait être retenus. « J’ai des raisons de croire que sur la moitié des accusations, le procureur n’a pas présenté suffisamment de preuves », explique maître Stéphane Bourgon. L’avocat avait aussi demandé la suspension complète de la procédure, en novembre dernier, après avoir reçu plus des centaines d’enregistrements de conversations téléphoniques de son client, depuis son arrivée en prison en mars 2013. Selon le procureur, Bosco Ntaganda aurait tenté d’interférer sur l’enquête et de peser sur les témoins. Les juges ont estimé qu’il existait des éléments « graves » justifiant des mesures de restriction dans les contacts de l’accusé avec l’extérieur. Les procureurs ont eu accès à ces enregistrements, sans qu’ils n’aient été expurgés des éléments portant sur « la stratégie de défense » de l’accusé, et alors qu’ils révèlent « l’identité de témoins potentiels » déplore maître Bourgon. Pour l’avocat, lorsque les procureurs ont demandé ces enregistrements, « ils savaient qu’ils allaient obtenir des informations sur la stratégie de défense ». Mais les juges ont estimé que ces enregistrements pourront être utilisés pour le contre-interrogatoire des témoins de la défense par le procureur, au cas par cas.