Pour sensibiliser les jeunes tunisiens au thème de la marginalisation, le Centre international pour la justice transitionnelle (ICTJ) en partenariat avec le British Council ont lancé un projet photographique destiné aux 15-25ans. Le résultat : une exposition d’images à la fois poignantes et attachantes.
Avec une pointe de délicatesse et des tonnes de tendresse, quatre photographes en herbe ont su illustrer à travers leurs clichés des histoires de précarité, de rupture scolaire, de désœuvrement, de défonce, d’inégalité de chances, d’attente et d’injustice écologique. Mais aussi d’amitié, d’empathie, de solidarité, de partage et d’amour éternel dans cette Tunisie post révolutionnaire.
Ils s’appellent Emna Fetni, Ali jabeur, Nedra Jouini et Aschraf Gharbi, sont âgés en moyenne de 25 ans, et ont suivi pendant plusieurs mois une double formation dispensée par le Centre international pour la justice transitionnelle (ICTJ). Le programme comprend d’abord, une partie théorique sur l’art et les techniques de la photo, ensuite, les bases de la justice transitionnelle et notamment le concept de la « marginalisation ». Une partie pratique s’en est suivie, qui a tenté de développer chez les stagiaires, une sensibilité à fleur de regard sur les êtres et les choses ainsi que toutes les possibilités qu’offre un appareil photo.Le résultat de ce travail est tout simplement étonnant de justesse et de vérité ! Les images, quatre par photographe sont exposées sur les cimaises de l’espace d’art L’Etoile de la médina, dans la vieille ville de Tunis, sous le titre : « Marginalisation : images d’une invisible répression ». Elles sont également disponibles sur la toile, avec une gamme plus large des clichés en ligne.
Gabès ©Ali Jabeur
Transmission mémorielle de l’exclusion
L’affiche de l’exposition reprend une des photos d’Emna Fetni, étudiante en sciences politiques. C’est le portrait de Majdi, un jeune de Zahrouni, une cité défavorisée, située à la périphérie de Tunis, à laquelle Emna Fetni a choisi de consacrer une série photographique. Majdi, lui, est en rupture scolaire depuis des années. C’est une « ombre » de la ville : il vit d’errance, d’ennui et de rêves de départ clandestin vers l’Europe. Son look, quelque peu trash, signale son appartenance à une communauté de la marge, confinée dans un quartier manquant d’infrastructures sociales et culturelles de base et perpétuellement stigmatisé par les autorités. Gabes est une « région victime ». Ses habitants ont présenté, en juin dernier, une plainte à l’Instance vérité et dignité (IVD) pour avoir été méthodiquement exclus du développement depuis l’implantation d’une usine chimique sur les côtes de leur ville. Les images d’Ali Jabeur montrent et documentent, à la manière d’un reportage, le drame des pêcheurs de Gabes, abandonnés à leur misère et à l’aridité d’une mer désormais infertile. Plus loin, une série de clichés signés par Aschraf Gharbi relate l’histoire d’un couple de dissidents politiques. Le mari, Kamel Taghouti était lieutenant jusqu'à son limogeage de l’armée en 1978. Son tort ? Avoir refusé de tirer sur les manifestants lors de la grève générale de janvier 1978. Sa femme, Najet, n’a pas arrêté depuis d’écrire des livres pour témoigner de l’injustice subie par son mari. Le couple vit d’amour et de souvenir. Dans un total dénuement.
Kamel Taghouti ©Aschraf Gharbi
Nedra Jouini a choisi le noir et blanc pour réaliser une sorte d’introspection à l’intérieur de l’âme d’une victime de la dictature. Ses images, tel un tourbillon, sont angoissantes, psychédéliques, hallucinogènes. Elles ressuscitent la solitude des hommes et des femmes livrés à un système inique. Même si cet état d’oppression semble loin dans la Tunisie d’aujourd’hui, la photo ravive la mémoire et permet de ne pas oublier.
L’exposition « Marginalisation : images d’une invisible répression » est programmée pour tourner, à travers le pays, dans plusieurs centres culturels et universités. Elle sera le prétexte de débats avec les jeunes sur des questions en rapport avec l’exclusion, l’injustice sociale, la justice transitionnelle et la transmission mémorielle de l’histoire de la dissidence en Tunisie.
©Nedra Jouini