Dans un rapport publié ce mardi 30 mai 2017 à Bangui, les Nations unies documentent 620 cas de violations graves des droits de l’homme commises sur le territoire centrafricain de 2003 à 2015 : violences sexuelles, actes de tortures dans les centre de détention, exécutions extrajudiciaires, violences à caractère ethnique ou religieux, enrôlement d’enfants soldats, attaques contre les humanitaires et les Casques bleus,…
Les auteurs du rapport formulent une série de recommandations, notamment à l’attention du procureur de la Cour pénale spéciale (CPS) créée au sein du système judiciaire centrafricain avec pour mandat de juger les principaux responsables présumés des crimes graves commis en Centrafrique depuis le 1er janvier 2003. Au regard de la vastitude de son mandat, du nombre trop élevé des crimes et de leurs auteurs présumés, le rapport recommande au procureur de la CPS de bien élaborer et publier sa stratégie de poursuites avant l’entame des enquêtes, dans un double souci de transparence et d’impartialité.
Le rapport conclut que la grande majorité des 620 cas répertoriés constituent des violations graves relevant du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire, qui pourraient également constituer des crimes de guerre et/ou des crimes contre l’humanité.
Dans le résumé de ses recommandations, ce “mapping report”, souligne la nécessité pour le bureau du procureur de la CPS, de formuler et adopter une stratégie de poursuites, prenant notamment en compte les questions de la complémentarité avec la Cour pénale internationale (CPI) qui enquête sur les crimes graves commis en Centrafrique depuis 2012.
Selon les auteurs du rapport, cette stratégie devrait « être communiquée au public avant d’entamer les enquêtes afin d’assurer un fonctionnement transparent de la Cour pénale spéciale et de gérer les attentes du public vis-à-vis de la Cour ».
Pour les Nations unies, l’adoption de cette stratégie de poursuites se justifie principalement par « le nombre élevé et la nature particulière des crimes commis depuis le 1er janvier 2003, qui requièrent une sélection attentive des événements, affaires, et infractions spécifiques devant faire l’objet d’enquêtes et de poursuites ». La mise en place d’une stratégie publique permettra par ailleurs au procureur de faire face à des pressions auxquelles il faut s’attendre notamment de la part de groupes politiques, religieux ou ethniques.
L’adoption préalable d’une telle stratégie aidera également le procureur à procéder à une sélection réfléchie des dossiers prioritaires afin d’une meilleure utilisation des ressources limitées prévues pour les poursuites.
Intégrer une perspective genre dans le travail de la Cour
Le rapport conseille ainsi au procureur de concentrer son action sur les dossiers concernant les crimes les plus graves, les dossiers les plus significatifs sur le plan historique, ou ceux ayant le plus de pertinence pour répondre aux besoins de justice des victimes.
Les crimes contre les femmes et les enfants ou contre d’autres groupes particulièrement vulnérables devraient être également privilégiés dans cette stratégie. S’agissant particulièrement des crimes visant les femmes, le rapport estime indispensable de « former le personnel de la Cour pénale spéciale aux violences sexuelles liées aux conflits ainsi qu’à la façon d’intégrer une perspective genre dans le travail quotidien de la Cour ». Cela comprend, selon les auteurs, l’organisation de formations obligatoires, dispensées par des professionnels dotés d’une grande expérience dans le domaine de la violence sexuelle liée aux conflits.
La gravité de la responsabilité présumée, le rang des suspects ou leur rôle allégué dans la perpétration des crimes, la possibilité de les localiser et la capacité de les appréhender sont aussi à prendre en compte.
Le rapport exhorte par ailleurs le procureur à accorder une attention particulière, dans sa stratégie, aux « vagues spécifiques de violence comme la campagne de la terre brûlée menée par les troupes gouvernementales pendant le conflit armé dans le nord-ouest du pays à partir de 2006 ». « Ces incidents sont particulièrement préoccupants en raison de l’ampleur des campagnes de destruction des biens civils, du mépris flagrant du principe du droit humanitaire fondamental relatif à la distinction entre civils et combattants, et du principe d’humanité qui exige des belligérants d’éviter des souffrances inutiles à la population civile », souligne le rapport.
Persécution basée sur l’appartenance religieuse
Les auteurs du document sont également très préoccupés par les attaques ayant ciblé des personnes sur la base de leur appartenance religieuse ou ethnique. Ils encouragent ainsi le procureur à enquêter sur « les dossiers emblématiques de déplacement forcé de populations, et d’entraves à la liberté de mouvement, notamment pour des personnes confinées dans les enclaves ». Car, souligne le rapport, la persécution basée sur l’appartenance religieuse était une forme de violation extrême liée au conflit et elle a laissé des marques profondes sur la société centrafricaine.
Le rapport mentionne enfin les attaques dirigées contre les forces de maintien de la paix et le personnel des organisations humanitaires. « Ces attaques sont des violations graves en soi. De plus, le fait que de telles attaques continuent en toute impunité compromet les efforts de sécurisation des populations, ainsi que l’acheminement de l’aide humanitaire », explique le texte.
« La mise en place d’une telle stratégie serait une étape majeure dans la lutte contre l’impunité généralisée qui caractérise l’histoire de la République centrafricaine » ; conclut le rapport.