Après le dictateur ougandais Amin Dada et "L'avocat de la terreur", Jacques Vergès, le cinéaste suisse Barbet Schroeder poursuit sa "trilogie du mal" avec "Le Vénérable W", documentaire sur un influent moine bouddhiste birman qui prêche la haine contre la minorité musulmane.
Dans "Le Vénérable W.", qui sort en salles mercredi après sa projection à Cannes en sélection officielle hors compétition, la caméra s'introduit au coeur de la mécanique anti-Rohingyas, la minorité musulmane de ce pays à plus de 90% bouddhiste.
Le cinéaste a choisi un sujet brûlant : le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'Homme a dénoncé en février le "nettoyage ethnique" dont sont victimes les Rohingyas et s'est alarmé de possibles crimes contre l'humanité commis par des soldats birmans - accusations rejetés par le régime.
Aux côtés d'images amateurs des exactions contre les musulmans (maisons brûlées, lynchages...), d'images de propagande parfois très modernes sur fond de musique pop et diffusées sur internet, le documentaire trouve sa valeur unique dans les longs entretiens accordés au cinéaste par Ashin Wirathu.
Ce moine bouddhiste très influent prêche la haine contre les musulmans dans ses discours, mais son rôle exact dans le déclenchement des vagues de violence ethnique reste flou : c'est un homme "extrêmement intelligent, tout à fait dans le contrôle" de ses paroles face à celui qui l'interroge, a expliqué M. Schroeder lors d'un entretien avec la presse à Cannes.
Lors du tournage, il s'est montré prêt "à répondre à toutes les questions" du réalisateur, fasciné de longue date par le message de paix du bouddhisme et qui tente de comprendre comment les moines extrémistes birmans le pervertissent.
Tentant de décrire la façon dont les messages de haine peuvent, après infusion dans l'opinion publique, aboutir au pire, le réalisateur dresse un parallèle en forme d'avertissement entre la situation en Birmanie et la montée des discours antimusulmans dans le reste du monde.
Barbet Schroeder, qui se concentre sur la figure de Wirathu, et fait parler certains de ses détracteurs, dont U. Zanitar, son maître spirituel qui a dénoncé son basculement idéologique, s'attarde moins sur le positionnement d'Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix en 1991. Depuis son arrivée au pouvoir il y a un an, elle est critiquée à l'étranger pour sa gestion de la crise des Rohingyas, et le fait qu'elle rejette les accusations de nettoyage ethnique.
Le Suisse n'a pas terminé son tournage en Birmanie, expliquant avoir ressenti que la pression des services de sécurité du régime s'est accrue : il a fini par s'installer de l'autre côté de la frontière, en Thaïlande, pour y mener les dernières interviews.