Trois associations ont annoncé jeudi 29 juin avoir déposé le même jour devant la justice française une plainte avec constitution de partie civile contre le groupe bancaire BNP Paribas pour « complicité de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre ».
L’association de lutte contre la corruption Sherpa, le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda (CPCR) et Ibuka France accusent BNP Paribas d’avoir, en connaissance de cause, permis au gouvernement rwandais de s’approvisionner en armes en plein génocide et en violation d’un embargo sur les armes imposé par les Nations unies. Selon un communiqué des trois associations, le groupe bancaire français a transféré « 1,3 million de dollars d’un compte de sa cliente, la Banque nationale du Rwanda (BNR), sur le compte suisse d’un courtier d’armes sud-africain », Willem Tertius Ehlers, en juin 1994.
Cet intermédiaire sud-africain se serait alors rendu avec un colonel de l’armée rwandaise, Théoneste Bagosora, aux Seychelles, pour conclure, le 17 juin 1994, la vente de 80 tonnes d’armes, qui auraient ensuite été acheminées à Gisenyi (ouest) au Rwanda, via Goma (est de la République démocratique du Congo, Zaïre à l’époque).
Au moment des faits, le colonel Théoneste Bagosora était directeur de cabinet au ministère de la Défense. Au cours de son audition devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), le colonel Bagosora a confirmé que des armes arrivées des Seychelles par Goma auraient servi à « donner un coup de main à Kigali », soulignent les trois associations dans leur communiqué.
Bagosora, qui avait été présenté par l’accusation comme « le cerveau » du génocide des Tutsis, a été condamné à 35 ans de prison, peine qu’il purge actuellement dans une prison malienne
Le communiqué des trois associations fait remarquer que la Banque Bruxelles Lambert (BBL), qui avait été également sollicitée, avait opposé une fin de non-recevoir à la demande du gouvernement rwandais, de peur de violer l’embargo.
La BNP aurait été la seule banque à accepter d’effectuer ce transfert de fonds, écrivent les trois associations, selon lesquelles le groupe bancaire français savait que ce transfert pouvait contribuer au génocide alors en cours contre les Tutsis.
Une première en France
Joint par l’AFP, le groupe BNP Paribas a indiqué qu’il n’était pas encore en mesure de faire un commentaire. « Nous apprenons par voie médiatique le dépôt d'une plainte. A l'heure actuelle, nous ne disposons pas des éléments suffisants la concernant pour être en mesure de la commenter ».
C’est la première fois en France qu’une banque est visée par une plainte pour complicité de crimes aussi graves. « L’aspect préventif du devoir de vigilance tel qu’adopté le 21 février dernier, appliqué aux institutions financières, devrait permettre d’éviter leur implication dans de telles violations », déclare la directrice des programmes de Sherpa, Sandra Cossart, citée dans le communiqué.
La plainte est déposée le lendemain de la révélation par la revue « XXI » de faits accablants sur le rôle controversé qu’aurait joué la France au Rwanda en 1994. La revue a publié, mercredi 28 juin, une enquête qui accuse les autorités françaises d’avoir sciemment réarmé les Forces armées rwandaises (FAR), en juillet 1994, en violation de l’embargo décidé par les Nations unies.
Selon l’enquête de la revue “XXI”, l’ordre de réarmement se serait d’abord heurté à l’opposition de certains officiers français. Mais il a finalement été exécuté parce que signé par par le secrétaire général de l’Elysée de l’époque, Hubert Védrine.