Une centaine d’organisations mexicaines de défense des droits de l’homme demandent à la procureure de la Cour pénale internationale (CPI) d’ouvrir un examen préliminaire sur les crimes commis dans l’Etat de Coahuila au nord du Mexique, entre 2009 et 2016. Elles dénoncent une « collusion » entre les autorités du pays et les cartels, dans les meurtres, les disparitions et les tortures.
Ce n’est pas la première fois que des organisations mexicaines, chapeautées par la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), se tournent vers La Haye pour y dénoncer les meurtres, les disparitions forcées et les tortures, résultat « d’une collusion » entre les autorités mexicaines et le crime organisé. Le 6 juillet, une petite délégation présentera au bureau du procureur un nouveau rapport sur les crimes commis entre 2009 et 2016 dans l’Etat de Coahuila, au nord du Mexique. Une pièce, seulement, « du puzzle mexicain » assure Jimena Reyes, chargée des Amériques pour la FIDH, qui donne une image de la violence endémique au Mexique. C’est « une démocratie en guerre », ajoute Michael Chamberlain, de Fray Juan de Larios Human Rights Center. La guerre contre la drogue, initiée par Felipe Calderon en 2006 et reprise par son successeur, Enrique Pena Nieto, a militarisé la sécurité publique et considérablement augmenté les violations des droits de l’Homme. La plainte des organisations mexicaines évoque « des groupes criminels organisés, agissant de manière coordonnée avec les forces de sécurité de l’Etat, ou infiltrant les forces de l’Etat au plus haut niveau ». A l’échelle nationale, la guerre mexicaine contre la drogue aurait provoqué, entre 2006 et 2015, la mort de 150 000 personnes, près de 30 000 disparus et 200 000 déplacés. L’Etat de Coahuila, frontalier du Texas, serait l’un des plus violents du pays.
La terreur pour contrôler les territoires
Dans le document qui sera remis au procureur de la Cour pénale internationale, les organisations passent en revue 32 drames de la guerre de la drogue, dont le massacre d’Allende, village à la frontière du Texas, et les disparus de la prison de Piedras Negras. Le 18 mars 2011, les Zetas, branche armée du cartel du Golf, décide de se venger de la trahison de deux des leurs, dont l’un se serait envolé avec 5 à 8 millions de dollars, tandis que l’autre se serait repenti. Ce jour-là, 40 camions remplis d’hommes armés prennent la ville et traquent les proches des deux « traitres », avec « la participation et le soutien direct de la police municipale » affirme la FIDH. Ariana Garcia, avocate de United Families, rassemblant les proches de disparus raconte : « Ils ont capturé des dizaines de femmes, de vieux, d’enfants, et ont détruits leurs maisons ». Certains ont été torturées « par des hommes des forces spéciales de sécurité, le visage couvert par des masques pour ne pas être identifiés ». Il y aurait eu de 42 à 300 disparus, et « on a remis aux familles de la poussière à la place des cendres » explique Ariana Garcia. Les Zetas, formés de déserteurs des forces spéciales de l’armée mexicaine, et devenus en 2008 le bras armé des barons du cartel du Golf, se sont illustrés par « un sadisme extrême », lit-on dans le rapport, postant mêmes leurs exploits – tortures, décapitations, mutilations- sur Youtube, « tant ils se sentent impunis », raconte Jimena Reyes. D’autres fois, il faut au contraire faire disparaitre les corps gênants dans de l’acide, comme à la prison de Piedras Negras. Elle sera tour à tour un lieu de villégiature pour les Zetas, qui y règnent en maitres, y confectionnent leurs uniformes, leurs gilets pare-balles, mais elle deviendra aussi un lieu « d’extermination », selon la plainte. Cent cinquante personnes au moins y auraient été torturées puis éliminées. Des membres des Zetas, ceux de cartels ennemis ou d’autres, qui ont eu le tort d’être « simplement au mauvais endroit au mauvais moment ». Une enquête a été ouverte localement, sans toutefois viser les responsables de la prison, raison pour laquelle les défenseurs des droits de l’homme réclament l’intervention de la Cour. Les Zetas ont imposé « la terreur comme méthode de domination territoriale », lit-on dans le rapport. Trop ambitieux, les Zetas ont ensuite enclenché une guerre avec le cartel du Golf, dont ils voulaient prendre la tête, et seront finalement attaqués par les forces armées en 2012. Depuis, d’autres les remplace, perpétuant les exactions passées. Ces crimes auraient été commis avec la complicité des autorités, notamment des gouverneurs de Coahuila, comme en ont témoigné des repentis lors de procès organisés aux Etats-Unis. Ces témoignages, entendus devant la justice américaine, impliqueraient aussi l’armée, et la police fédérale mexicaine.
Crimes contre l’humanité ?
« Cela va au-delà du crime organisé » estime Jimena Reyes, « ce sont des crimes contre l’humanité », et « il y a urgence ». Depuis longtemps, la question du Mexique est sur la table du bureau du procureur de la CPI. Elle compte parmi les examens préliminaires secrets : des plaintes reçues par la Cour, pas encore refermées, toujours à l’étude. En 2012, la FIDH avait transmis au procureur un premier rapport sur les crimes de l’armée et des forces de sécurité dans l’état de Baja California. Cette fois, la FIDH assure revenir avec un dossier mieux ficelé. Et estime que le cas mexicain mériterait plus d’attention, car il va au-delà de violations des droits de l’Homme. En dénonçant publiquement à La Haye les crimes commis au Mexique, les organisations espèrent « mettre la lumière sur la réalité mexicaine », dit Jimena Reyes, et impliquer la communauté internationale. En septembre, la FIDH et les représentants des organisations mexicaines devraient rencontrer les nouvelles autorités de Coahuila, où un nouveau gouverneur a été élu début juin. « Nous espérons que les autorités ouvriront le dialogue pour mettre fin à l’impunité » dit Jimena Reyes. Lui aussi du voyage à la Cour, l’évêque de Saltillo, Raul Vera Lopez José, a aussi quelques mots pour « l’attitude héroïque » des témoins, qui osent affronter « une politique publique de peur et de terreur contre la société civile » et parle de « familles qui sont d’accord » pour se rendre devant la Cour et « ont dit qu’elles n’avaient rien à perdre, parce qu’elles ont déjà tout perdu ».