Immunité du Président soudanais Al-Béchir : la CPI blâme l'Afrique du Sud mais aussi l'ONU

Immunité du Président soudanais Al-Béchir : la CPI blâme l'Afrique du Sud mais aussi l'ONU©
Le Président du Soudan Omar Al-Béchir au sommet de l'Union Africaine. Arrêter un président en exercice se révèle être un véritable casse-tête pour les Etats, pas seulement africains
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Les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont estimé que l’Afrique du Sud a failli à ses obligations en refusant d’arrêter le président soudanais, et blâmé le Conseil de sécurité de l’Onu pour son inaction, alors que les mandats d’arrêt délivrés contre Omar Al-Béchir en 2009 et 2010 n’ont toujours pas été exécutés. Ils ont aussi réaffirmé l’absence d’immunité pour les chefs d’Etat poursuivis par la Cour, question au cœur de son bras de fer avec l’Union africaine.

 Sans surprise, les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont affirmé, le 6 juillet, que l’Afrique du Sud avait failli à son obligation d’arrêter Omar Al-Béchir en juin 2015, et empêché ainsi la Cour d’exercer ses fonctions. Visé par deux mandats d’arrêts de la Cour pour génocide et crimes contre l’humanité au Darfour, le président soudanais s’était rendu à un sommet de l’Union africaine à Johannesburg, du 13 au 15 juin 2015, sans être inquiété par les autorités. Saisie par une ONG, la justice sud-africaine avait même demandé l’arrestation du chef d’Etat après avoir ordonné au gouvernement de l’empêcher de quitter le pays. Pourtant, Omar Al-Béchir s’envolait en catimini vers Khartoum, laissant le président sud-africain, Jacob Zuma, essuyer les foudres de son opposition, de juristes internationaux et d’ONG, pour avoir laissé filer son homologue soudanais, et foulé au pied les décisions de ses propres juges. Après des mois de procédure, la Cour suprême sud-africaine avait assuré, en 2016, que le gouvernement avait agi « illégalement ». Décision qu’ont rappelé les juges de la CPI, pour affirmer qu’« il est maintenant établi sans équivoque, au niveau national et par cette Cour, que l’Afrique du Sud doit arrêter Omar Al-Béchir et le remettre à la Cour. »

Des leviers diplomatiques inefficaces

 Mais la Cour n’a néanmoins pas référé la question au Conseil de sécurité des Nations unies ou à sa propre Assemblée des Etats parties. Les juges ont estimé qu’utiliser les leviers diplomatiques à sa disposition ne servirait à rien. D’abord, parce que l’Afrique du Sud a, en quelque sorte, joué le jeu, et respecté la Cour. Avant même qu’Omar Al-Béchir ne foule son territoire, Pretoria avait demandé une consultation à la Cour, pour s’enquérir de ses obligations concernant les mandats d’arrêt. Aucun Etat, parmi ceux qui ont accueilli le président sur leur sol, n’avait auparavant entamé une telle démarche. Pretoria estimait néanmoins que le soudanais bénéficiait de l’immunité, et qu’elle ne pouvait, en tant qu’Etat hôte du sommet de l’organisation continentale, exécuter le mandat. Par la suite, l’Afrique du Sud a accepté de répondre à la Cour, et de se présenter à l’audience du 7 avril 2017 où elle était convoquée. La seconde raison évoquée par les juges, est une pierre jetée dans le jardin des Etats, et en particulier, du Conseil de sécurité de l’Onu. Les juges rappellent qu’à six reprises, l’absence de coopération d’un Etat a été signifiée au Conseil de sécurité et à l’Assemblée des Etats parties. Depuis l’émission des mandats d’arrêt de la Cour, Omar Al-Béchir a voyagé dans de nombreux pays, y compris membres de la Cour comme le Tchad, le Kenya, la République démocratique du Congo, Djibouti, etc. Les juges ajoutent que les 24 réunions du Conseil de sécurité, tenues depuis l’adoption de la résolution de mars 2005 par laquelle il demandait à la Cour d’enquêter sur les crimes commis au Darfour, « n’ont pas abouti à des mesures contre les Etats parties qui n’ont pas respecté leurs obligations de coopération ». Pour la Cour, se tourner vers l’Onu serait « futile ». Référer l’affaire aux deux instances diplomatiques n’aurait pas d’effet. Dans une opinion jointe au jugement, le juge français, Marc Perrin de Brichambault, va au vif. En convoquant l’Afrique du Sud pour une audience à la Cour en avril dernier, « la chambre avait demandé aux Etats et aux Nations unies de répondre », mais seule la Belgique avait accepté de se prononcer. « Ce silence presque complet, a déclaré le juge, donne la mesure du caractère très sensible de l’immunité des chefs d’Etat en exercice », et « la prudence » avec lesquels les Etats traitent cette question. Suite à l’audience, le patron de la Coalition des ONG à la CPI (CCPI), William Pace, a déclaré soutenir « l’exaspération des juges face aux échecs vertigineux du Conseil de sécurité de l’Onu à faire respecter ses propres renvois à la CPI ». Il a ajouté que plusieurs ONG de la Coalition estiment « que les 124 Etats parties, plus des deux tiers de la communauté internationale, doivent s’attaquer aux échecs à arrêter, et aux échecs du Conseil de sécurité » lorsqu’il renvoie des conflits à la Cour pour enquête. Le Conseil a le pouvoir de demander à la Cour d’enquêter sur les crimes commis sur le territoire d’Etats qui n’en sont pas membres, comme il l’a fait pour le Darfour et la Libye.

 

Arrestation d’un chef d’Etat : un casse-tête

 

Arrêter un président en exercice se révèle être un véritable casse-tête pour les Etats, pas seulement africains. En 2010, Paris avait ainsi déplacé à Nice son sommet Afrique-France, initialement prévu en Egypte, puis signifié au président soudanais qu’il n’était pas le bienvenu en France, préférant son absence à son arrestation. L’immunité des chefs d’Etat en exercice et l’un des piliers de la souveraineté des Etats, que la création de la Cour a passablement ébranlé. Si les juges n’ont évidemment pas remis en cause son application, ils ont réaffirmé que devant la Cour, cette immunité n’existe pas. Comme le dit explicitement un article de son traité fondateur, auquel les Etats membres ont adhéré en connaissance de cause. Depuis l’émission du premier mandat d’arrêt contre Omar Al-Béchir en 2009, l’Union africaine s’est engagée dans un bras de fer avec la Cour. Elle a d’abord invité ses membres à ne pas coopérer dans l’arrestation du soudanais. Et depuis l’inculpation par la Cour du kenyan Uhuru Kenyatta, dont l’affaire s’était finalement soldée par un non-lieu, plusieurs chefs d’Etats bataillent contre la Cour, menaçant régulièrement de se retirer de son traité fondateur. Ce qu’a fait le gouvernement sud-africain en octobre dernier, sans l’aval de son parlement. Même si la Cour suprême s’y est opposée en février 2017, le président Jacob Zuma a réitéré cette semaine sa décision. Le départ de l’Afrique du Sud de la Cour sera en principe effectif en octobre prochain. Et pour le South African Litigation Center (SALC), à l’origine des procédures nationales contre le gouvernement dans l’affaire Béchir, si la CPI n’a pas voulu se tourner vers le Conseil de sécurité de l’Onu, c’est pour ménager Pretoria. « Nous comprenons ceci à la lumière des sensibilités entourant l’adhésion de l’Afrique du Sud à la CPI », a ainsi expliqué son directeur exécutif, Kaajal Ramjathan-Keogh. Il est encore trop tôt pour savoir si le Conseil de sécurité et l’Assemblée des Etats partis entendront la décision des juges. En attendant, Omar Al-Béchir devrait se rendre en Russie au mois d’août, à l’invitation de Vladimir Poutine. Ciblée dans l’enquête engagée par la procureure en 2016 sur la guerre de 2008 en Géorgie, la Russie avait annoncé en novembre qu’elle ne ratifierait jamais le traité de la Cour. Moscou n’est, à ce titre, pas obliger de coopérer avec la juridiction. Mais la Russie fait néanmoins partie des cinq membres permanents qui ont demandé l’intervention de la Cour au Darfour.