Au Togo, le processus de justice transitionnelle, mis en œuvre par le pouvoir, semble plus diviser qu’il ne réconcilie. C’est d’ailleurs sur fond de controverses que le Haut-Commissariat à la Réconciliation et au Renforcement de l’Unité Nationale (HCRRUN) a organisé, du 3 au 9 juillet, une opération dite de « purification».
Une semaine dite de purification du Togo s’est achevée dimanche 09 juillet à Lomé sur un culte chrétien, auquel ont assisté Premier ministre, membres du gouvernement, membres des institutions de la République et du Haut-Commissariat pour la Réconciliation et l’Unité nationale (HCCRUN). A l’instar des jours précédents, au cours desquels les communautés religieuses traditionnelles et musulmanes ont, elles aussi, organisé des rites, des prières ont été dites en faveur du processus de réconciliation engagée depuis 2009 dans le pays.
C’est en août 2006 que, dans le cadre d’un accord politique (déclaré aujourd’hui caduc par le pouvoir), la recommandation a été faite d’initier un processus de justice transitionnelle au Togo pour apaiser le débat politique. Un an auparavant, ce petit pays d’Afrique de l’Ouest avait connu un pic jamais atteint de violences politiques à l’issue d’une élection présidentielle très contestée qui avait vu l’actuel président, Faure Gnassingbé, monter au pouvoir, succédant à son père. Ces violences ont fait , selon différents rapports , au moins 500 morts, essentiellement dans les rangs de l’opposition.
En 2009, une Commission Justice vérité et Réconciliation (CVJR) a été mise en place pour faire la lumière sur les violences à caractère politique commises dans le pays, pas seulement en 2005, mais entre 1958 et l’accession de Faure Gnassingbé au pouvoir en 2005. Placée sous la présidence d’un prélat, la CVJR a, pendant trois ans, organisé des audiences et recensé 22 415 victimes, dont 7057 pour la seule année 2005. L’une des recommandations de cette commission, remises au président en 2012, à la fin de sa mission, est l’organisation de journées de purification du pays pour « faciliter le repos des âmes des victimes, décédées ou disparues, apaiser les cœurs meurtris et accompagner spirituellement la réconciliation ».
Alors qu’il s’apprête à indemniser une première vague de 2475 victimes, le HCRRUN, chargé de la mise en œuvre des recommandations de la CVJR, a donc initié des journées dites de purification. Même si le processus depuis 2009 a souvent été la cible de critiques au sein de l’opinion, jamais, il n’a suscité autant de controverses comme l’étape dite de purification.
Depuis l’annonce de ces cérémonies jusqu’à leur réalisation proprement dite, les réactions de désapprobation se sont multipliées. Sur les médias sociaux, autour du hashtag #Kpatima, les activistes ont plutôt tourné les cérémonies en dérision. Les partis politiques et autres leaders de l’opinion ne sont pas restés indifférents au débat. Un processus qui était officiellement destiné à réconcilier les Togolais les a plutôt divisés davantage.
"Des cérémonies d'intoxication", selon la société civile et l'opposition
Sans tarder, l’Alliance nationale de changement (ANC), le principal parti de l’opposition, a appelé tous ses membres à boycotter ces cérémonies. « Le Bureau National de l'ANC a pris la décision de ne point s'associer à cette mystification incongrue de "journées de purification du Togo" dans laquelle les bourreaux connus et inconnus ne comptent point reconnaître leurs torts et autres forfaits commis pendant les 50 dernières années sur la terre de nos aïeux et s'en repentir mais demandent avec provocation aux victimes de pardonner », a déclaré le parti. La formation politique a souligné que « les mêmes bourreaux qui sont, pour certains décorés par M. Faure Gnassingbé certainement "pour service à lui rendu par le sang de milliers de Togolais inutilement versé", continuent leur basses besognes par des coups de force répétés, la répression sauvage des manifestations pacifiques, le pillage systématique des ressources et des finances de notre pays par la minorité au pouvoir et le refus d'opérer les réformes institutionnelles, constitutionnelles et électorales ».
« Purification ou mystification ? ! », s’est pour sa part interrogé l’écrivain et ancien fonctionnaire international Godwin Tété dans une tribune relayée par les médias locaux. « Les "cérémonies " prévues par le HCRRUN ne seront autres choses que de grossières simagrées, du fallacieux fétichisme archaïque pur et simple. Ces "cérémonies" ne serviront qu'à intoxiquer (!) politiquement le peuple togolais : elles ne représenteront qu'une mystification (!!!), un point, un trait! », a opiné celui qui est auteur de « Histoire du Togo : le coup de force permanent (2006-2011) ».
« La réconciliation ne peut aboutir à la paix que lorsque tous s’engagent dans une démarche de conversion des cœurs », ont de leur côté averti les clergés des églises évangélique et méthodiste dans une lettre pastorale le 30 juin. Pour ces responsables ecclésiastiques, la réconciliation ne se réduit pas à « une simple opération de réparation financière », mais « se fait dans la douleur, à travers les actes de contrition et de pardon des acteurs impliqués, à savoir prioritairement l’offenseur et l’offensé ».
Pour le Professeur et écrivain, Apedo-Amah Togoata, « toute l’eau de l’océan n’arrivera pas à purifier (les bourreaux) parce qu’ils n’ont jamais eu le courage d’avouer leurs crimes abominables contre le peuple togolais ». « Pas de purification sans aveux et sans jugements », conclut cet universitaire, également ancien secrétaire général de la Ligue togolaise des droits de l’Homme, une des principales organisations de la société civile locale.
Apedo-Amah Togoata relaie un constat unanime : aucun suspect n’a demandé pardon, personne n’a reconnu aucun des faits qui ont ensanglanté le pays entre 1958 et 2015. Au contraire, les personnes soupçonnées dans l’opinion comme d’illustres bourreaux et citées même dans un rapport des Nations unies sur les massacres de 2005, sont restées aussi puissantes et protégées au sein du pouvoir qui dirige le pays depuis un demi-siècle.
Ce qui fait dire au leader d’opinion Kossi D. Oboeyaba, que les maux du Togo restent intacts, que sur le fond rien n’a changé après les violences de 2005. « L'injustice a encore repris. La liberté d’expression est de nouveau menacée (…) En réalité, la dictature a continué. Seulement, elle s'est ''maquillée'' démocratiquement et bien de personnes, de personnalités voire des pays sont tombés dans le piège saluant les fameux ''efforts démocratiques''. Aujourd'hui, deux éléments de maquillage démocratique consistent dans les cérémonies dites de ''purification'' et la commission des réformes », s‘exaspère –t-il sur facebook.