L’opposition et une partie de la société civile maliennes sont vent debout contre un projet de révision constitutionnelle initié par le gouvernement. Les opposants du président Ibrahim Boubacar Keïta l’accusent d’avoir concocté le nouveau texte pour s’assurer de sa réélection au scrutin prévu l’année prochaine.
Depuis un mois, opposition et pouvoirs maliens se jaugent. Chaque camp montre ses griffes. En cause : un projet de révision de l’actuelle constitution en vigueur depuis février 1992.
Pour le gouvernement du président Ibrahim Boubakar Keïta (IBK), la révision constitutionnelle s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord de paix signé à Bamako en mai et juin 2015 au terme de longues et laborieuses négociations à Alger.
Ce compromis avec la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), une alliance de groupes armés rebelles touareg et arabes, vise à ramener la paix dans le septentrion malien.
Obtenu par une médiation internationale comprenant l’Algérie, la France, l’Union européenne et la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), l’accord prévoit la création d'assemblées régionales aux pouvoirs étendus, dans le septentrion ou l’Azawad, nom par lequel les mouvements de la CMA désignent cette région du Mali. Il consacre par ailleurs une large décentralisation et garantit une meilleure représentation des populations du nord au sein des institutions nationales.
Même si l’opposition n’a jamais cru en la bonne foi de la CMA, elle bat le pavé aujourd’hui pour une autre raison : l’étendue des pouvoirs accordés au chef de l’Etat par le projet de constitution révisée.
Report sine die du référendum
Selon ce nouveau texte adopté début juin par l’Assemblée nationale et qui devait initialement être soumis à un vote référendaire le 9 juillet dernier, le président de la République se voit attribuer des pouvoirs supplémentaires, dont celui de nommer le président de la Cour constitutionnelle, qui est jusqu’ici désigné par les autres juges de la Cour. Si l’on sait que le président de la Cour constitutionnelle est le seul habilité à proclamer les résultats définitifs des élections, on comprend les soupçons de l’opposition étant donné que le parti au pouvoir a déjà annoncé qu’IBK serait candidat à sa propre succession lors des élections prévues l’année prochaine.
Une autre disposition en cause est la nomination par le chef de l’Etat d’un tiers des membres du Sénat. L’opposition y voit une façon de plus pour le président IBK de mettre en place, une fois réélu, un organe sous sa dévotion.
Après l’adoption du projet par l’Assemblée nationale, l'opposition avait saisi la Cour constitutionnelle, soutenant que le référendum ne pouvait avoir lieu dans l’actuel climat d’insécurité au Mali.
Le dépôt de cette requête a eu pour effet de suspendre sine die le référendum, initialement prévu le 9 juillet.
Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle a débouté les adversaires d’IBK, au motif qu’il y avait plus d’insécurité au moment de l’élection présidentielle de 2013.
Mais l’opposition a maintenu sa pression, notamment par la voie de manifestations pacifiques à Bamako et dans d’autres villes.
« Aujourd’hui, l’opposition est dans une logique d’insurrection. A toutes ses sorties, elle défie l’autorité de l’Etat. Elle ne veut même pas se conformer à la décision de la Cour constitutionnelle qui a tranché », a réagi le 11 juillet le ministre des Transports, Baber Gano, qui est également secrétaire général du Rassemblement pour le Mali (RPM). « C’est grave parce que c’est anticonstitutionnel. Cela ne peut plus continuer. L’Etat va s’affirmer. Il prendra ses responsabilités », a lancé ce poids lourd du parti au pouvoir, lors d’une conférence de presse à Bamako.
« Non, non et non »
Bravant cet avertissement, des milliers de manifestants sont descendus dans les rues de Bamako le 15 juillet pour leur troisième démonstration de force depuis la mi-juin. Sur les banderoles qu’ils portaient, on pouvait lire: «IBK, respectez le peuple (…) Non, non au bricolage de la constitution de 1992 ».
Le moment fort de la marche a été l’allocution d’Amadou Thiam, ancien deuxième vice-président de l’Assemblée nationale et actuellement vice- président de la plateforme «Touche pas à ma constitution ». Le président Boubacar Keita et son gouvernement « sont allés chercher à l’étranger une constitution qu’ils voudraient substituer à celle adoptée par le peuple souverain du Mali au lendemain de la conférence nationale de toutes les forces vives du pays (…) Non, non et non ! Nous ne l’accepterons pas ! », a déclaré Amadou Thiam devant une foule électrisée.
Même si les deux camps n’en sont pas arrivés à des accrochages, l’escalade entretenue par l’intransigeance des uns et des autres fait craindre le pire dans ce contexte pré-électoral.