La question d’un possible troisième mandat pour le président Alpha Condé divise la Guinée alors même que l’intéressé lance des signaux dans ce sens tout en refusant de se prononcer officiellement. Ses partisans ne cachent plus leur volonté de changer la Constitution. L’opposition fourbit ses armes et menace, soutenue par quelques acteurs de la société civile.
« Arrêtons avec cette vision dogmatique de savoir si la bonne chose est un, deux ou trois mandats. Ce n’est pas aux puissances extérieures de décider, Ça dépend de chaque pays et de la volonté de son peuple». Cette déclaration faite par Alpha Condé en marge de sa visite d’Etat en France, en avril dernier, a renforcé le doute et la méfiance dans le pays. Pour de nombreux observateurs, il n’y a plus de suspense depuis cette déclaration. Alpha Condé pose les jalons d’un troisième mandat.
Depuis plusieurs semaines en effet, les membres du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), le parti au pouvoir, et certains caciques du gouvernement multiplient les sorties médiatiques en vue de préparer l’opinion.
Le premier à sortir du bois fut le directeur général de la police Bangaly Kourouma. En décembre 2016, il avait déclaré, au cours d’une mission à Nzérékoré (Guinée forestière) : «Tant qu’Alpha Condé est en vie, il sera le président de la République ». Une déclaration qui avait provoqué à l’époque un tollé général au sein de la classe politique et de la société civile. L’opposition avait demandé le limogeage du chef de la police. Ce dernier a certes quitté ce poste en juin dernier, mais pour devenir…ministre-conseiller à la Présidence de la République.
D’autres déclarations ont suivi dans la même veine, au point que l’opposition républicaine, la société civile et des institutions internationales prennent aujourd’hui la question au sérieux.
Cellou Dalein Diallo, chef de file de l’opposition, mobilise ses troupes et avertit : « un troisième mandat est suicidaire pour Alpha Condé. Il pense qu’il peut tripatouiller la Constitution, mais là, il faut qu’il comprenne que ça ne passera pas ! Ce n’est pas aux urnes qu’il faut exprimer votre refus, c’est dans la rue parce qu’il ne connaît que ça ».
« Le piège des sirènes révisionnistes »
Un autre avertissement est venu de l’ambassadeur des États-Unis en Guinée, Dennis Hankins. «Aucun projet de modification du mandat présidentiel ne prospérerait en Afrique de l’Ouest, après les révolutions burkinabé et sénégalaise », a-t-il déclaré en mai à l’occasion d’une visite à Labé, capitale du Foutah, une région réputée acquise presqu’entièrement à l’opposition.
L’artiste musicien Elie Kamano s’en est mêlé également. Il a été arrêté le 17 juin pour avoir pris l’initiative d’une marche de protestation contre un éventuel 3ième mandat. Selon le gouvernorat, la manifestation était interdite.
Enfin, l’incident qui a émaillé le 29ième Sommet de l’Union Africaine est encore frais dans les mémoires. Le président guinéen était sorti de ses gongs et avait tancé le ministre sénégalais des Affaires étrangères Mankeur Ndiaye, qui venait de déclarer : « Au Sénégal, on n’aime pas les troisièmes mandats ».
L’on se demande actuellement qui pourra arrêter la machine mise en branle vers un troisième mandat. Apparemment, l’avertissement du président de la Cour Constitutionnelle Kelefa Sall ne sera pas entendu. Lors de la cérémonie d’investiture d’Alpha Condé, en 2015, pour un second mandat, il avait courageusement demandé au président réélu « de ne pas tomber dans le piège des sirènes révisionnistes». En Guinée, les dispositions constitutionnelles relatives au nombre et à la durée du mandat présidentiel sont très claires. L’article 27 de la Constitution stipule qu’ « en aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non ».
Ce verrou constitutionnel va-t-il sauter, comme dans nombre d’autres pays en Afrique?