Les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont rendu, jeudi 17 août, leur ordonnance sur les réparations aux victimes d’Ahmed Al Mahdi. Le condamné avait plaidé « coupable » de crimes de guerre pour la destruction de neuf des Mausolées de Tombouctou et de la porte de la Mosquée Sidi Yahia, lors de l’occupation du nord du Mali par les djihadistes d’Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et d’Ansar Eddine en 2012.
Au-delà de l’histoire des crimes commis à Tombouctou en 2012, l’affaire Al Mahdi aura surtout été celle de la punition des auteurs de destructions du patrimoine de l’humanité. Lors de son procès, il y a un an, le djihadiste avait reconnu avoir supervisé l’attaque des Mausolées de « la ville aux 333 Saints », et de la porte de la mosquée Sidi Yahia, qui selon la légende, ne pouvait être ouverte sans attirer la misère sur ses habitants. « Leur destruction porte un message de terreur et d’impuissance », ont déclaré les juges en ordonnant des réparations. Elle « annihile une partie de la mémoire partagée et de la conscience collective de l’humanité et empêche celle-ci de transmettre ses valeurs et ses connaissances aux générations futures » poursuit l’ordonnance.
Ahmed Al Mahdi a été condamné à verser 2,7 millions d’euros à ses victimes. Mais il y a peu de chance que le djihadiste s’acquitte de la facture. Lors de son arrivée à La Haye en septembre 2015, il avait été déclaré indigent et ses frais de défense ont en conséquence étaient pris en charge par la Cour. Sa situation ne devrait pas s’améliorer au cours des prochaines années, avaient souligné ses avocats lors de la procédure. Ahmed Al Mahdi doit encore purger sept ans de prison. C’est le Fonds pour les victimes de la Cour qui devra donc compléter les réparations. Les juges ont néanmoins rejeté une requête des avocats demandant à ce que cette dette soit limitée dans le temps et que leur client puisse, un jour, en être libéré.
Tombouctou, le Mali et la communauté internationale
Pour la CPI, les victimes sont les habitants de Tombouctou, les Maliens dans leur ensemble et la communauté internationale. Ils ont ordonné qu’un euro symbolique soit versé à l’Unesco, qui, peu de temps après le début de l’occupation de la ville par les djihadistes d’Ansar Eddine et d’Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI), en avril 2012, avait déclaré les monuments, dont plusieurs étaient inscrits au patrimoine mondial, comme patrimoine protégé. Après la fuite des djihadistes face aux militaires de l’opération française Serval début 2013, l’Unesco avait supervisé la reconstruction des Mausolées à l’identique. Mais pour l’avocat des 137 victimes, Mayombo Kassongo, « les esprits ne sont jamais rentrés dans les Mausolées après leur destruction, et depuis, le miracle n’opère plus ». Le dommage est donc irréparable, avait-il estimé au cours de la procédure.
La chambre de première instance a enregistré trois formes de préjudices : celui relatif aux bâtiments historiques et religieux attaqués, les pertes économiques et le préjudice moral. Si 137 victimes et deux organisations liées au patrimoine de Tombouctou ont été admises dans l’affaire, les juges ont demandé à ce que tous les bénéficiaires soient identifiés, estimant que les 137 ne reflétaient pas l’intégralité des souffrances subies par cette ville de 7000 habitants à l’époque des crimes. La CPI a ordonné que des réparations collectives soient octroyées sous la forme de mémoriaux et de cérémonie de commémoration. Les juges ont aussi estimé que des fonds devraient être affectés à la sécurité et l’entretien des Mausolées. Et ont, symboliquement, ordonné que la vidéo des excuses présentées par Al Mahdi aux victimes lorsqu’il avait plaidé « coupable » devant la CPI il y a un an - excuses considérées comme « sincères, sans équivoque et empreintes d’empathie » - soit diffusée sur le site internet de la Cour. Suite à des expertises, les juges ont néanmoins rejeté toute réparation sous forme de justice traditionnelle, estimant que si certains y voyaient un mécanisme de réconciliation, d’autres ont identifié « des discriminations contre les femmes ».
Réparations individuelles limitées
Les réparations individuelles seront octroyées aux victimes ayant subi un préjudice économique. La nature exacte de ces réparations n’a pas encore été décidée, mais elles pourraient prendre la forme d’aide à l’activité économique, ou au retour dans la ville pour ceux toujours exilés. Le Fonds pour les victimes doit présenter un rapport d’ici le 16 février 2018. Des réparations individuelles seront aussi accordées aux descendants des personnes reposant dans les Mausolées, même si leurs sépultures n’avaient pas été attaquées, avait assuré Al Mahdi devant la Cour lors de son procès. Seuls les bâtiments les entourant avaient été détruits sous sa supervision, car ils représentaient, pour les djihadistes dont l’accusé, une pratique idolâtre interdite selon leur propre lecture de la charia. Si Al Mahdi avait plaidé coupable, c’est parce qu’il jugeait que la destruction des Mausolées serait source de désolation pour la population et qu’elle était donc inutile et risquée, mais il restait, sur le fond, d’accord avec la décision de son chef, Iyad Ag Ghaly, touareg du nord du Mali et chef d’Ansar Eddine.
Des accusations limitées
L’ordonnance rendue par la Cour a été saluée mais l’affaire Al Mahdi et la justice pour Tombouctou continuent de susciter des critiques. Dans un communiqué, le président de l’Association malienne de défense des droits de l’homme (AMDH), Moctar Mariko, regrette ainsi que le procès Al Mahdi se soit « borné à punir la destruction du patrimoine culturel de Tombouctou, lui évitant de rendre compte des autres crimes contre l’humanité dont ses hommes et lui se sont pourtant rendus coupables ». L’Association, membre du réseau de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), avait porté plainte contre lui à Bamako pour crimes contre l’humanité pour les meurtres et les viols de 2012. La FIDH rappelle d’ailleurs que le procès de l’ex commissaire de la police islamique de Gao, Aliou Mahamane Touré, s’ouvrira devant les Assises de Bamako le 18 août. Mais souligne que les charges de « coups et blessures aggravés » dont il doit répondre ne reflètent par les crimes de guerre commis. A La Haye, la procureure poursuit ses enquêtes, ouvertes en janvier 2013, sur les crimes commis au Mali. Fatou Bensouda doit se rendre à Bamako en septembre.