Dans un rapport diffusé le 29 août et titré « Qui nous défendra ? La représentation légale des victimes à la CPI dans l’affaire Ongwen et au-delà », Human Rights Watch plaide en faveur du libre choix, par les victimes, de leur conseil.
Au fil du temps, « la Cour a eu tendance à donner moins de poids aux vues des victimes » lors du choix de leur avocat, estime Human Rights Watch. Dans son rapport, l’organisation de défense des droits de l’Homme demande aux juges et au greffier d’harmoniser conjointement la procédure et de renforcer la possibilité, pour les victimes, de choisir librement leur représentant. Le rapport analyse par le détail la procédure de désignation des avocats dans l’affaire Ongwen et compare la situation avec les autres affaires engagées devant la Cour. HRW souligne les disparités dans les procédures de choix des conseils, et regrette, en substance, que la Cour ne donne pas plus d’opportunités aux victimes de choisir librement. Vu le nombre de victimes enregistrées dans chaque affaire – 4107 pour la seule affaire Ongwen – la procédure prévoit une représentation collective. Les victimes doivent donc s’entendre sur le choix de leur conseil commun. En cas d’impossibilité, il revient aux juges de décider. Pour Human Rights Watch (HRW), choisir librement un conseil est « un moyen pour les victimes représentées de développer une relation de confiance avec le conseil qui les défend ». La participation des victimes à toutes les étapes de la procédure est « une innovation clé dans la justice pénale internationale », souligne l’organisation, « elle créé un lien entre les communautés affectées par les atrocités et la salle d’audience ».
4107 victimes et deux représentants
Les chercheurs ont analysé en détail le processus de désignation des avocats dans l’affaire Ongwen. Les juges ont accepté la participation de 4107 victimes dans le procès de cet ancien commandant de l’Armée de Résistance du Seigneur (ARS). Durant huit mois, en 2016 et 2017, HRW a interrogé 81 personnes, dont de nombreuses victimes de la milice, active pendant plus de vingt ans dans le nord de l’Ouganda. Ancien commandant, Dominic Ongwen était, dans un premier temps, accusé de crimes contre l’humanité commis lors de l’attaque du camp de déplacés de Lukodi, au nord de l’Ouganda. En janvier 2015, il était arrêté et transféré à La Haye. En décembre, le procureur ajoutait de nouvelles charges contre lui, pour des crimes commis à Pajule, Abok et Odek et pour des crimes sexuels commis au sein de la brigade Sinia, dont il était le commandant. Dès le début de l’enquête du procureur sur les crimes commis dans le nord de l’Ouganda en 2004, les victimes des crimes de l’ARS à Lukodi étaient sensibilisées au fonctionnement de la Cour. « A Lukodi, les victimes étaient très bien organisées par des ONG », explique Michael Adams. Ce qui n’a pas été le cas pour les autres sites de crimes ajoutés aux accusations. A Odek, les victimes ont été interrogées individuellement. A Pajule, elles n’ont tout simplement pas été consultées, les juges ont donc décidées pour elles. A Abok, les victimes ont participé à des réunions communes et choisi leur avocat. Mais les responsables de la CPI auraient tenté d’influencer ce choix, expliquant que des avocats travaillant pour la Cour seraient mieux à même de les représenter, a constaté HRW. Au final, la Cour n’a pas complètement suivi les propositions des victimes, estimant que, dans certain cas, le processus de sélection d’avocats privés n’avait pas été transparent, et ajoutant que des contraintes budgétaires et de temps empêchaient de poursuivre la procédure. Au final, plus de 2600 victimes sont donc représentées par deux avocats, maître Fransisco Cox et Joseph Akwenyu Manoba. Pour les autres victimes, les juges ont désigné Paolina Massidda, du Bureau du Conseil public pour les victimes, un organe dépendant du greffe. Dans son rapport, Human Rights Watch refuse de se prononcer sur les différences existant entre les avocats employés par la Cour, comme ceux du Bureau public pour les victimes, et ceux exerçant à titre privé. Mais plusieurs témoignages montrent néanmoins que les victimes se sentent mieux représentées par des avocats plus proches, venant de leur région et connaissant leur histoire. L’un des témoins interrogés par HRW explique ainsi que l’avocat a été choisi « parce qu’il était proche de nous. » Au cours d’une réunion publique, plusieurs avocats ont été proposés aux victimes, qui ont pu rencontrer le conseil choisi. « J’ai vu le procès à l’écran », dit le témoin, et vu l’avocat. « J’étais contente de le voir délibérer à la Cour parce que c’est un homme bon. »
Un lien de confiance entre les victimes et la Cour
« Le fait que les victimes puissent participer à des procès de la CPI peut aider à faire en sorte qu'elles estiment que la justice a été rendue », a déclaré Michael Adams, chercheur pour Human Rights Watch. L’ONG regrette l’absence de clarté sur certaines étapes de la procédure. Notamment, lorsque les juges ont décidé que le libre choix d’un conseil commun avait été impossible. Interrogé par téléphone, le chercheur explique que « la Cour n’a pas nécessairement fait quelque chose de mal dans l’affaire Ongwen. Ce que nous disons, c’est que cette affaire est l’occasion de repenser son approche vis-à-vis des victimes. Et s’assurer que les opportunités soient créées pour permettre aux victimes de choisir véritablement ». Michael Adams précise que « les règles de la CPI ne donnent peut être pas un droit absolu » aux victimes dans le choix de leur avocat, mais que la Cour devrait mettre en place une politique « pour justifier plus clairement quand elle intervient pour supprimer ce choix ». Le chercheur ajoute que les juges devraient « se concentrer sur ce qu’il se passe dans les communautés locales, le plus tôt possible, pour leur permettre d’être prêtes et capables de choisir à leur façon ». Human Rights Watch estime qu’il appartient aux juges d’évaluer le temps nécessaires au choix d’un conseil au cas par cas. A l’heure ou la Cour envisage de réformer son système d’aide légale, l’organisation estime que les droits des victimes ne peuvent être amputés pour des questions budgétaires. De telles décisions « sapent le lien avec les victimes et risquent d’affaiblir la légitimité de Cour » souligne Michael Adams.