Malgré de nombreuses tentatives de médiation, le Gouvernement burundais et son président n’entendent pas dialoguer avec l’opposition et la répression se poursuit. Une intransigeance appliquée également à la Commission d’enquête sur le Burundi qui n’a pu se rendre sur place, ni échanger avec Bujumbura. Fatsah Ouguergouz, président de la commission livre un constat inquiétant, avant la présentation de son rapport final au Conseil des droits de l’homme lors de la session de septembre de l’organe onusien basé à Genève.
Qu’il est difficile de quitter le siège du pouvoir, même quand la constitution du pays l’exige et que ce maintien entraine une répression sanglante. Une inertie incarnée au Burundi par le président Pierre Nkurunziza, comme le souligne Human Rights Watch: «Les forces de sécurité et des membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure, prennent pour cible des opposants et des personnes perçues comme tels, qu’ils tuent, violent, torturent, font disparaître de force ou maltraitent. Des assaillants inconnus ont également attaqué ou tué de hauts fonctionnaires. Le système judiciaire est profondément manipulé par le parti au pouvoir, et l’impunité est largement répandue. »
Un constat qui rejoint celui de Fatsah Ouguergouz, Président de la commission d’enquête sur le Burundi qui présentera son rapport final à la mi-septembre lors de la 36e session du Conseil des droits de l’homme, l’institution qui a décidé il y a une année de créer cet organe formé de trois experts.
JusticeInfo.net: Quelle est la situation actuelle au Burundi en matière de violations des droits de l’homme ?
Fatsah Ouguergouz: Depuis notre dernière déclaration au mois de juin, nous avons constaté la persistance des violations qui se déroule de manière plus clandestine qu’en 2015 et 2016. Une situation qui perdure. Il n’y a aucun signe d’évolution positive dans ce domaine.
Nous avons reçu plusieurs témoignages depuis le mois de juin faisant état de violations graves des droits de l’homme. Il n’y a donc aucune raison d’être moins inquiets qu’auparavant. En dépit de nombreux appels, le gouvernement du Burundi a refusé de communiquer avec nous.
Votre rapport final va donc s’inscrire dans cette dynamique négative ?
Au mois de mars, nous avons fait état d’allégations, en restant relativement prudent. En juin, nous nous sommes montrés plus inquiets après avoir examiné ces allégations pour parvenir à des conclusions provisoires faisant état de persistance dans la durée de ces violations depuis 2015. Notre rapport contiendra nos conclusions définitives, ainsi qu’une série de recommandations.
Le président burundais n’entend apparemment pas quitter le pouvoir en dépit de la constitution. Est-ce le motif de ces exactions.
Bien entendu. La crise des droits de l’homme au Burundi se greffe sur la crise politique. Une solution pour sortir de ces violations ne peut advenir que par un règlement de la crise politique. Rappelons que c’est donc l’annonce de la candidature du président Nkurunziza à un nouveau mandat en mars 2015 qui a poussé aux manifestations et à leur répression. Le président a malgré tout été réélu en 2015. Il n’y a donc pas eu d’évolution sur le plan politique et aucun signal ne montre un début de dialogue politique, alors que la communauté internationale le demande avec insistance. Il n’y a aucun signe d’ouverture de la part du gouvernement burundais.
Un certain nombre d’initiatives diplomatiques ont été prises. Ces démarches sont-elles insuffisantes?
La communauté internationale a déployé beaucoup d’énergie, tant sur le plan institutionnel qu’au niveau bilatéral. Des envoyés spéciaux sur le Burundi ont été nommés, tant par des pays que par l’ONU ou l’Union africaine. La Communauté des Etats d’Afrique de l’Est a nommé un médiateur. Mais rien n’y fait.
Par rapport aux crimes déjà commis, la justice burundaise n’a rien fait ?
En raison du manque d’indépendance des juges et d’autres lacunes du système judiciaire, rien n’est fait pour lutter contre l’impunité. La Commission nationale indépendante des droits de l’homme et le bureau de l’Ombudsman sont deux institutions qui étaient prometteuses lors de leur création il y a 6 ans. Mais il s’avère qu’elles ne jouent plus leur rôle en tant qu’institutions indépendantes et impartiales.
Et du côté de la justice internationale ?
Le Burundi est partie au Statut de la Cour pénale internationale (CPI). Il a fait part de son intention de se retirer de la CPI. Jusqu’à cette date et peut-être au-delà, la CPI est compétente pour connaitre tout crime qui aurait été perpétré avant cette date.
La CPI a ouvert un examen préliminaire le 25 avril 2016 mais elle n’a toujours pas ouvert d’enquête en tant que telle. Le Conseil de sécurité pourrait aussi saisir la CPI. Au titre de la compétence universelle, des Etats pourraient en outre contribuer à la lutte contre l’impunité.
Le cas burundais est-il le signe des difficultés, voire de l’impuissance de ces différents outils de la justice internationale ?
En ce qui concerne notre commission et l’impact que peut avoir notre rapport, il est bien sûr trop tôt pour parler de frustration. Concernant la contribution de commissions du type de la nôtre, dont le rôle est essentiellement juridique, quasi judiciaire, il ne faut sous-estimer l’importance des considérations politiques. Ces commissions agissent dans le cadre de leurs prérogatives et elles le font du mieux qu’elles peuvent. Une fois le rapport présenté, la balle ne sera plus dans notre camp. C’est aux organes et aux autres acteurs à qui nous adressons nos recommandations de décider des suites donner à notre rapport, à commencer par le Conseil des droits de l’homme qui a créé notre commission.
Les commissions d’enquête ne sont pas des organes judiciaires. Elles font un état des lieux des faits qui se sont produits et les qualifient de manière juridique. Elles établissent la véracité de ces faits et balisent le terrain pour d’éventuelles poursuites.
Comment vous y êtes-vous pris pour vérifier les allégations de violations des droits humains au Burundi ?
Malgré nos demandes répétées, nous n’avons pu nous rendre au Burundi. Son gouvernement n’a pas répondu à nos demandes répétés de fournir toute information concernant ces allégations de violations commises au Burundi, même quand des agents burundais étaient eux-mêmes victimes d’atteintes aux droits de l’homme par des auteurs non identifiés, des groupes armés.
L’attitude du gouvernement burundais a rendu notre tâche beaucoup plus difficile, mais pas impossible. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’une commission travaille, sans la collaboration du gouvernement intéressé. C’est le cas, par exemple, de celles qui enquêtent sur la Syrie ou l’Erythrée.
Nous avons collecté plus de 500 témoignages, non seulement auprès de réfugiés dans les pays limitrophes, mais aussi dans la diaspora. Nous avons aussi obtenu des témoignages de victimes et de témoins vivant au Burundi via différents canaux de communication.
Spirale de violence
Dans la foulée de l’accord de paix d’Arusha en 2000 qui a mis officiellement fin à une guerre civile, Pierre Nkurunziza est élu à la présidence de la république du Burundi en 2005. En 2015, il décide de se représenter pour un 3e mandat, contrairement à ce que stipule la constitution de 2005 qui n‘autorise que deux mandats d’affilée pour le chef d’Etat. Cette perspective engendre une tentative de coup d’Etat, des manifestations de l’opposition et une violente répression causant la mort de plusieurs centaines de personnes et la fuite de plus de 425 000 réfugiés dans les pays voisins.
Selon la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH) et la ligue Iteka (la plus ancienne ligue burundaise des droits de l'homme, en exil) entre 800 et 1.200 personnes ont été victimes de disparitions forcées au Burundi depuis le début de la crise.
«Sur le plan politique, le pouvoir affiche clairement sa volonté de mettre fin à la démocratie de consensus d’Arusha, un système de partage obligatoire du pouvoir entre la majorité hutue et la minorité tutsie, instauré en 2000 pour sortir de la guerre civile et socle des institutions au cours de la dernière décennie », écrit Thierry Vircoulon, de l’International Crisis Group.
Les médias ne sont pas épargnés. «L’essentiel des radios indépendantes demeurent fermées alors que de nouveaux médias de propagande gouvernementale voient le jour. Au quotidien, les journalistes peinent à travailler librement et sont régulièrement harcelés par les forces de sécurité, encouragées par un discours public qui associe les médias non alignés à des ennemis de la nation. La disparition, en juillet 2016, du journaliste Jean Bigirimana n’a toujours pas été élucidée. », écrit Reporters Sans Frontières