Gravement mises en cause par l’organisation Human Rights Watch (HRW), les Forces armées maliennes (FAMA) protestent de leur innocence et exigent « des preuves irréfutables ». Selon un rapport publié la semaine dernière par HRW, des éléments de l’armée malienne ont commis des « meurtres extra-judiciaires » au cours d’opérations militaires depuis 2016 contre les groupes djihadistes, notamment dans le centre du pays. L’organisation affirme ainsi avoir découvert, à Mopti et Ségou, des fosses communes attribuées aux troupes gouvernementales.
« Il s’agit d’allégations mensongères dont l’objectif n’est autre que de saper le moral des troupes sur le théâtre des opérations », dénonce, sous couvert de l’anonymat, un haut responsable du ministère de la Défense. Selon ce responsable, les personnes soupçonnées de liens avec les djihadistes sont arrêtées et transférées à Bamako, la capitale, « dans le respect de la dignité humaine ».
« S’ils sont des preuves irréfutables, nous serions heureux que ces preuves soient mises à notre disposition », renchérit le colonel Diarran Koné, directeur de l’Information et des relations publiques des armées. « Les forces de défense et de sécurité maliennes ont été formées au droit humanitaire international et aux normes à respecter sur un théâtre d’opérations militaires. Nous sommes donc une armée républicaine et, par conséquent, je suis surtout surpris par de telles allégations », poursuit l’officier supérieur, en insistant sur « le professionnalisme » de cette institution à laquelle il appartient.
« Les cadavres d’au moins 14 hommes »
Selon le rapport de Human Rights Watch, « des témoins et des membres des familles des personnes victimes de disparitions forcées aux mains des forces de sécurité maliennes ont affirmé avoir appris de sources non officielles que sur les 27 hommes disparus, plusieurs avaient probablement été tués lors de leur garde à vue ». Toujours selon le rapport, « d'autres étaient considérés comme détenus illégalement par la Direction générale de la sécurité d’État (DGSE), l'Agence nationale de renseignement malienne ».
L’organisation affirme que les forces armées maliennes ont, «à plusieurs reprises, fait subir des brutalités, des brûlures et des menaces à des dizaines d'hommes accusés de soutenir les groupes armés islamistes ».
Human Rights Watch rapporte par ailleurs avoir documenté « l'existence de trois fosses communes qui auraient contenu les cadavres d'au moins 14 hommes », probablement « exécutés après avoir été détenus depuis décembre par des militaires maliens ».
Le rapport est basé sur les auditions de 48 victimes d'abus et témoins, ainsi que des responsables des communautés ethniques Peul, Dogon et Bambara, d'anciens détenus, des agents du gouvernement local, des membres des services de sécurité et du système judiciaire ainsi que des diplomates en poste dans le pays.
Même si la société civile locale n’a pas encore réagi au rapport de HRW, l’Association malienne pour la promotion de l’identité peulh, « Tapital Pulako » avait déjà, par le passé, dénoncé « les exactions, disparitions et autres mauvais traitements perpétrés sur des populations civiles dans la région de Mopti ». Et, en mai dernier, un rapport conjoint de l’Association malienne des droits de l’Homme et de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) faisait état de « violations graves » des droits de l’Homme par l’armée et les groupes armés dans le nord et le centre du pays.
« L’armée régulière dans une situation délicate »
Pour d’autres observateurs, si ces rapports sur l’armée sont à prendre avec prudence, ils ne sont pas non plus à rejeter. C’est l’avis notamment d’Ibrahim Maïga, chercheur à l’Institut d’Etudes de Sécurité (ISS). « Ces accusations sont très graves pour être rejetées d’un revers de la main. Toutefois, elles doivent être approfondies par des enquêtes civiles et militaires plus pointues », conseille le chercheur, qui invoque la difficulté pour les organisations traditionnelles de défense des droits de l’Homme de se rendre sur le terrain pour étayer leurs informations de preuves concrètes. Ibrahim Maïga de rappeler aussi le caractère « complexe » de l’action des militaires sur le théâtre des opérations dans un contexte de lutte contre le terrorisme. « D’une part, vous avez une armée régulière qui doit respecter les conventions et normes en matière de guerre, d’autre part, vous avez des groupes terroristes, djihadistes et narcotrafiquants sans loi. Les armées régulières se retrouvent donc dans une situation délicate ».
Ce contexte autorise-t-il des éléments d’une armée régulière à recourir aux méthodes d’un ennemi sans foi ni loi ?